Libreville, Gabon Séminaire International « Danse, Guérison et le Sacré en Afrique »
Organisé par le Ministère gabonais de la Culture, la Fédération de Danse du Gabon et le Conseil International de la Danse (CID-UNESCO) avec le soutien de l’UNESCO, avec le concours du Laboratoire Universitaire de la Tradition Orale (LUTO) de l’Université Omar Bongo.
17 - 19 Janvier 2001
SOMMAIRE
Préface
Dr. Henri Bourbou Bourbou:
Quand le Bwiti associe la danse à la thérapeutique
Dr. Henri Bourbou Bourbou:
Rôle de la danse sacrée dans la thérapie initiatique bwitiste
Mme Francine Yveline Nnoh
1) La transmission de rites et de guérisons
Jean Ondeno Rebieno
Keu-Mi : Danse de possession chez les Akyé
Adepo Yapo:
2) La Pharmacopée et le geste: Danses d’hier et aujourd’hui
Jean Ondeno Rebieno
Rite Vodou de détection du sorcier
Kodjo Sodokin (Benin)
Quels apports de la médecine traditionnelle africaine aux organes nationaux de santé ?
Jérome Mmba Bitome:
Le sens de la danse « Mutuashi » dans le sacré congolais chez le Baluba
Hassan KABEYA
Le geste dans les danses de guérison d’aujourd’hui
Cyrille Meye M'Eyi:
PREFACE
Faisant suite aux recommandations des colloques de Libreville et Paris en 1995 sur la danse africaine « De la tradition orale à la scène », le Conseil International de la Danse en collaboration avec le Comité Gabonais du CID et le Ministère Gabonais de la Culture a organisé un séminaire international sur le thème « Danse, guérison et le sacré en Afrique », qui s’est tenu à Libreville (Gabon) du 17 au 21 janvier 2001, dans le cadre du Festival International de la Danse Africaine. Ce séminaire a eu pour but essentiel de conserver la pratique vivante du savoir et des gestes immémoriaux. Il a ainsi fait l’objet d’une série de communications qui ont mis en évidence l’importance du geste de la danse au cours des soins traditionnels, et ont permis de discerner des aspects particuliers et inédits du geste thérapeutique, notamment l’importance de la création d’une symbiose harmonieuse entre le malade et le guérisseur, condition première à la guérison d’affections physiques et spirituelles.
Depuis de nombreuses années, nous assistons à un retour en force de l’intérêt pour les arts traditionnels. Ce mouvement a puisé une partie de ses forces dans les racines de la vie culturelle des villages ruraux et des agglomérations urbaines, dans la littérature orale, les us et coutumes populaires, la musique, la danse, l’artisanat, les croyances et les rites, les fêtes et carnavals, tout ce qui compose les connaissances traditionnelles en général. Et parmi les arts traditionnels, les danses africaines jouent un rôle privilégié parce qu’elles suggèrent une intense participation et une communication des consciences en exaltant la puissance endormie d’un échange entre le psychisme et les actes.
C’est ainsi que ce séminaire a pu analyser les aspects régénérateurs de la danse africaine dans sa fonction thérapeutique, analyse qui pourrait inviter la société moderne à s’inspirer de la sagesse des médecines de toujours et à comprendre l’être humain dans sa multi-dimensionnalité.
1) Quand le Bwiti associe la danse à
la thérapeutique
Dr. Henri Bourbou Bourbou Chargé de Recherche au CAMEST Gabon
Je ne suis pas guérisseur, je suis tout simplement un universitaire qui croit à la tradition et qui étudie depuis quelques années certains des aspects de la tradition Bwiti. J'ai Observé, J'ai écouté, j'ai noté et j'ai quelques résultats. C'est pourquoi, je me permets aujourd'hui de venir parmi vous pour vous parler d'un aspect essentiel : Quand le Bwiti associe la danse à la thérapeutique.
Les résultats que je rapporte ici ont été obtenus à dans une école traditionnelle à Awendjé dans le Mbandja de Moveny à Libreville. La période d'études durait de juillet 1997 à novembre 2000. Les informations proviennent d’enquêtes et d’observations personnelles.
1. La problématique
Au Gabon, il existe une tradition appelée Bwiti que les occidentaux classent au rang de religion alors que le Bwiti est plus qu'une simple religion. C'est un tout. C'est la vie, tout court. Le Bwiti englobe tout : l'homme, la médecine, la danse, la chanson, le comportement, la philosophie, l'éducation, la politique, les palabres, etc.
Il y a une expression que les Occidentaux ont souvent utilisée pour traduire le fait que l’on fasse du Bwiti : danser le Bwiti comme si le Bwiti était limité à la seule danse. Mais le Bwiti n'est pas synonyme de danse. C'est pourquoi, je propose plutôt que l’on parle de pratique du Bwiti, on pratique le Bwiti quand on fait du Bwiti.
Quelle est la signification de la danse ? Lorsqu'on parle de danse, le commun des mortels pense automatiquement au folklore, ce qui est la tendance générale des gens, et nous avons souvent partagé cet avis. C'est pourquoi, on parle dans le langage courant « de danser au Bwiti ».
2. La danse, c'est d’autres choses
La danse est souvent liée à nos rites et traditions. La danse est un moyen d'expression, une technique d'accàs au sacré. La danse a été toujours pour les Africains le moyen d'expression essentiel de tout ce qui est important. Elle a probablement été un mode de relation avec le sacré et le conditionnement pour communiquer avec l'au-delà.
3. Relation entre la danse et la guérison
Lorsqu'on observe ce qui se passe à l'intérieur de la tradition Bwiti, on se rend compte que le malade qui suit les soins est souvent invité à danser. Alors quelle relation peut exister entre la danse et la guérison ? Il y a des choses qu'on n'arrive difficilement à expliquer ou à interpréter. Il importe simplement de poser des hypothèses. 1) Pourquoi danse-t-on après avoir consommé l’Iboga, (Tabernanthe iboga) ? D'abord on prend l'Iboga pour se soigner, on dit que le fait de danser permet à une personne de combattre la fatigue car l'Iboga vous rend lourd dès que vous restez longtemps assis. 2) Pourquoi danse-t-on dès qu'on vient de se faire consulter après avoir pris l'Iboga ? Il semble que la danse permet au Nganga qui consulte de déceler les parties malades du patient. C’est-à-dire de le consulter à travers la danse. 3) Pourquoi un patient qui suit des soins doit être amené à danser à chaque fois et souvent ? On dit en médecine traditionnelle que la danse est le tout premier soin qu'on administre à un malade. On pense qu'en fonction de la manière de danser du patient, le guérisseur évalue si oui ou non le malade recouvre sa santé d'antan.
Ces quelques exemples montrent que la danse est liée au rite du Bwiti. A travers donc le Bwiti, on découvre que la danse a un rapport étroit avec le traitement des malades. Si la danse est parfois perçue comme un spectacle par le grand public, force est de constater que dans la tradition Bwiti, la danse symbolise quelque chose de plus profond. On pense que la divinité parle parfois dans la musique du Mungongo ou dans les chants accompagnés des tambours. On pense aussi que la danse est un passage obligé quand on veut vraiment atteindre un but. Il n’y a pas à proprement parler de rites sans l'organisation de la danse; si bien que la danse est devenue pour le Bwiti quelque chose de sacré. On dit à cet effet que la danse est imprégnée de sacré et tout se passe dans cette logique qui montre que toute la vie, toute la philosophie du Bwiti tourne autour du sacré. Nous avons retenu quelque chose d’important, la danse est essentielle dans le Bwiti. Il n'y a pas de Bwiti sans la danse et la guérison suit le rythme de la danse. Si le test est facile à faire pour le guérisseur, il est plutôt difficile à interpréter pour le commun des mortels. Quand un malade qui danse sur une piste a du mal à soulever ses pieds, le guérisseur sait qu'il est lourd et par conséquent, la maladie n’est pas encore partie. Quand, par contre, un autre patient qui danse donne l'impression d'être très léger dans ses mouvements, on dit que le malade commence à se débarrasser de ses charges et par conséquent sa vie commence à être sauvée. La danse peut être considérée dans le Bwiti comme étant un outil d'appréciation de la maladie. Le geste, les pas, le rythme du corps, l’humeur sont des éléments d’appréciation qui aident le guérisseur à apprécier l’état de santé du malade.
) Rôle de la danse sacrée dans la thérapie initiatique bwitiste
Mme Francine Yveline Nnoh Conférencière Internationale en matière d'Iboga et de Bwiti Secrétaire de Direction Centre International des Civilisations Bantu, Gabon
Introduction
Au regard de l'extension de la dimension culturelle du développement de l'humanité, le Festival International de la Danse (FIDA) et le CID-UNESCO ont initié une nouvelle vision de la culture à base d'une série de séminaires et de colloques. Il nous a donc été demandé d'analyser les aspects régénérateurs de la danse africaine dans sa fonction thérapeutique et dont les arcanes relèvent du sacré. Ainsi, nous avons choisi le thème «Le Rôle de la Danse Sacrée dans la Thérapie Initiatique Bwitiste» . Et s'il est un des traits qui caractérise la conscience bwitiste à l'aube du 3àme millénaire, au moment où s'interroge la Conscience Universelle sur le sort de l'homme et de l'humanité, c’est bien la quête perpétuelle de la naissance, de la vie, de la mort- de la connaissance de soi et de l'autre, de la cosmogonie, de Dieu et de ses mystères. Mais avant d'aborder notre thème qui est de nature multidimensionnelle, il serait bon que l'on s'attarde d'abord sur l'asphyxie culturelle que les peuples africains ont connue au cours de leur existence. Car, en tant que précurseur de la modernité, l'expérience coloniale a, parmi d'autres, milités contre la communication verbale comme expression de la culture africaines vivante et dont fait partie la pratique médicale traditionnelle. N'était-ce pas là une façon de freiner l'évolution de l’Afrique ?
Soulignons que l'Afrique, même après les indépendances, est restée traumatisée et embrigadée par une colonisation qui, en s’imposant à elle par l'iconoclasme a nié toutes ses valeurs culturelles. Ce qui a d’emblée limité la mémoire historique, géographique, culturelle et spirituelle. En effet il nous revient de revigorer ou de remuer ce mémoire ; de la placer à une échelle universelle en redéfinissant notre histoire et en nous affirmant dans nos cultures afin de revaloriser ce qui avait été rejeté et détruit par les civilisations dites supérieures (sic). Dans ce processus de quête perpétuelle de la recherche de notre identité culturelle il est donc vital et essentiel pour l'homme de se redécouvrir dans sa totalité. Pour cela il lui faut réintroduire et réinsérer ses valeurs ancestrales dans toute la globalité de son être, de son existence et de son environnement. L'un des aspects de cette découverte est l'initiation au bwiti avec l'Iboga où la mort devient comme fin et moyen d'aller véritablement au-delà du paraître pour pénétrer la vérité de l'être. C'est à ce moment qu'intervient la danse du bwiti : l'être humain cherche davantage à transcender la mort et les mystères de la vie. Il faut donc danser ; et danser devient dans ce sens une guérison, une philosophie, un désir inavoué d'affirmation où se complète et s'équilibre la subtile relation qui existe entre la substance et l'essence, les phénomènes et les noumènes, ce qui conduit à la connaissance de la vraie sagesse.
Et notons d'abord que la sagesse de l'Iboga ne soit pas de ce siècle : c'est la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée. Dieu l’a peut-être destinée pour notre gloire. Il nous révèle cette sagesse par l'Iboga car l'Iboga sonde les profondeurs de l'âme et de Dieu. Elle nous fait découvrir l'Esprit de Vérité afin que nous connaissions les choses que Dieu nous a données. Nous ne pouvons pas recevoir cette sagesse dans un état naturel mais plutôt dans un état spirituel et c'est cet état spirituel qui nous permet de parler de la danse sacrée comme thérapie.
Avant d'aborder notre thème nous nous poserons les questions ci-après :
1. Qu'est-ce que la danse initiatique bwitiste et sur quels éléments s’appuie-t-elle ?
2. Est-elle une danse curative ?
3. Quelle est sa fonction dans le bwiti et que procure-t-elle à l’homme ?
4. Quelle philosophie s’en dégage ? 5. La danse du chat de la harpe sacrée
Qu'est-ce que la danse initiatique bwitiste et sur quels éléments s’appuie-t-elle ?
Parler de la danse initiatique bwitiste comme thérapie dans la psychopathologie africaine, revient à aborder les différents aspects phénoménologiques de l'état de conscience de l'homme au cours du rite initiatique. Nous parlerons de cet état de bien être dans le domaine de la danse initiatique bwitiste mêlée au son de la Harpe sacrée, du Mugongo, des tambours Tam-tam et des incantations suivies de la danse.
De cette danse sacrée se dégage toute la problématique de l'existence humaine car à travers elle, on n’appréhende pas seulement le mouvement simple du corps physique mais la profondeur du geste de l'âme. La danse initiatique est une danse mystique qui s'exécute selon plusieurs formes sous la rigueur flexible d u corps. Le geste, d'une insistance obsessionnelle, traduit en même temps la quiétude et la sérénité, soit en compagnie du chant sacré vocal, soit en compagnie de l’instant instrumental ou d'autres éléments (tambours-mbein ou ngom hochets-soki'ét l'obàka-sorte de bois Ion rarement sculpté accompagné de 4 bâtonnets) etc. Ainsi, avec l’eurythmie de toute cette batterie initiatique on trouve à la fois le mouvement de la création de l’humanité, le mouvement de la naissance, le mouvement de la mort, le mouvement de la résurrection, le mouvement de la vie, en un mot le pas mythique. La danse Bwitiste est un itinéraire spirituel par lequel l’être humain dans sa fusion avec l’âme recherche constamment l’état spirituel suprême qui amène à la béatitude qui est le plus haut point de la guérison.
Est-elle une danse curative ?
La danse initiatique bwitiste exige un certain échelonnement de dispositions psycho-spirituelles exprimant en même temps la souffrance, la peur, la mort la naissance, la vie, la recherche de l'immortalité. Le chant réincarnateur, celui qui vous amène dans votre antériorité pour vous révéler votre véritable nature, celle qui ne se perd jamais, qui reste en filigrane et vous guérit de votre ignorance dans les espaces générées du temps de votre existence et de celui de l'humanité. Il y a une certaine libération de l'âme de l'homme et de l'Ame de l'humanité et c'est ainsi que s'accomplira le destin dans la rencontre avec la vérité non réfractée celle qui est Supérieure à toute vérité; l'Origine sans forme de toutes les origines, le Néant qui cependant est Tout.
La danse initiatique s'accompagne donc d'un grand nombre de connotations ésotériques qui s'expriment dans une thématique variée. Il faut par le rythme et la cadence de toute la batterie initiatique, arriver à s'exiler, et « Extraire la beauté du mal » pour parler comme Baudelaire c'est-à-dire sortir du corps physique pour faire vibrer l'être spirituel dans le but de guérir d'un mal physique ou spirituel.
Parler de la danse initiatique c'est aussi parler de la transe positive où le corps de l'homme subit avec aisance et amour certaines vibrations et mouvements recommandés par l'esprit. Dans cet état de choses, l'être vit une certaine g globalité de son être. Son but : celui de la guérison du corps et de l'âme. C'est l’instant de vérité et d'union. Le corps est soumis à une grande purification pour se fondre dans le Grand esprit, l'union de l'être atome avec l’être sublimé.
En fait, ce n'est plus l'être physique qui danse comme dans la rumba, ou la pachanga, pop, folk et autres, mais c’est votre ego qui fait vibrer l’être physique. A ce moment donc naît une sorte d’équilibre psychophysiologique et c’est cela qui permet au banzi (initié) d’exécuter toutes sortes de danse, toutes sortes de pas, sans heurter ni tomber avec une dextérité d’orfèvre, ex. : l’Obango, les danseurs de Vickos Ekondo, les danseuses de l’Elomba avec les batteurs de tambours. L’esprit rentre en conformité et en harmonie avec le corps par l’élément gestuel.
Dans cette forme de thérapie, nous ne pouvons parler de danse de guérison sans parler du chant de la harpe sacrée, catalyseuse de la danse initiatique bwitiste se déroulant évidemment au cours d’une séance de manducation de l’Iboga. La danse bwitiste est une danse de rite qui passe par une approche multidimensionnelle. Le patient est soumis à un conditionnement physique et spirituel, ce qui permettrait au guérisseur de l’ouvrir au monde supra sensoriel, afin qu’il se connaisse et qu’il saisisse la portée du chant de la harpe et de ses instruments d’accompagnement suivi d’invocations. Pendant l’initiation tout cela se passe en trois phases : le chant vocal, les instruments et la réaction du patient suite à cette eurythmie dans l’application du rite de passage qui est le point du départ, la transition le voyage et le point final, la réconciliation du corps avec l’esprit, d’où guérison.
Quelle est sa fonction dans le bwiti et que procure-t-elle à l’homme ?
La danse bwitiste a pour fonction de réguler les sensibilités du corps et de l’esprit pour vivre et créer une harmonie. En dansant et en esquissant des pas au son de l’eurythmie de la batterie initiatique, l’être s’exile de son corps physique. Il s’auto visionne et reste dans une sorte d’abstraction physique. La danse, dans ce sens, apprend à vivre, à apprendre, à comprendre, à se transcender au niveau de « l’être » et non de « l’avoir », à s’auto découvrir, à s’auto critiquer, et à s’auto discipliner pour revêtir le manteau de l’homme nouveau en se dépouillant du vieil homme. Chaque pas esquisse, chaque geste devient un langage, une expression une manière de traverser le temps et de s’y fondre pour une finalité cognitive et thérapeutique.
La cadence de la danse bwitiste est dynamique, et cette cadence induit les gestes d’évacuation ou de libération et les gestes d’intégration ou d’harmonie. Ces mouvements réactivent l’esprit qui, partant du point de départ (gestes d’évacuation) passant par l’initiation (transition) aboutissent au point final (gestes d’intégration ou d’approbation) créant une harmonie perpétuelle de l’âme et de l’esprit. On peut alors parler de guérison.
Le chant de la Harpe Sacrée dans la danse bwitiste
Dieu est l’émanation de Tout. Il est un Tout dans Tout, se révélant dans son omniscience, dans son omniprésence et son omnipotence. Et si l'on y croit fortement, il nous est possible de comprendre la puissance de la Harpe sacrée.
En effet, la problématique de la harpe sacrée a souvent été un sujet énigmatique dans la conception humaine : soit par refus de comprendre ou de connaître, soit par ignorance totale. L'existence ou l'acceptation de la harpe comme instrument de sanctification est un sujet qui semble opaque, à cause de sa subtilité, de sa sensibilité spirituelle, de sa nature éthérisée et fluidique. La Harpe Sacrée est par définition un instrument de guérison par excellence, et de son chant se dégage la danse sacrée ou de guérison. La quintessence de la harpe sacrée peut paraître de nos jours comme une pierre philosophale, une énigme, dont les hommes qui ne comprennent rien et ne cherchent pas a comprendre ont préféré en faire du philistinisme.
Le chant de la harpe est une musique kaléidoscopique, riche en sons, notes, symphonies et mélodies. Dans ces notes, ces sons se trouvent l'Exodus et l'équinoxe spirituel de l'univers qui, très souvent, entraînent l’être dans les profondeurs des domaines de la création, du mysticisme et du mythique. C'est ainsi que l’être malade, dans cette admiration parvient à oublier son mal et à le détruire. Et c’est dans ce sens que le chant de la harpe sacrée est thérapeutique car son chant unit les sensibilités les plus fines du corps aux sensibilités les plus fines de l’esprit, procurant une véritable harmonie guérissante.
Ce n’est pas un simple instrument de musique : c’est un instrument de valeur spirituelle quintessenciée. Nous avons pensé qu’il serait judicieux et opportun de pouvoir rendre audible et crédible la mystique du chant sacré et de la danse sacrée de la harpe. Ceci dit, le chant de la harpe n’est pas un chant vain, car si déjà les chants folkloriques font émulsion dans l’esprit de l’homme, serait-il pour le chant de la harpe sacrée, qui instruit, élève et édifie l’être qui l’écoute. Il stimule la pensée et remue le champ cosmique de la sagesse divine partant ainsi du microcosme physique au microcosme spirituel. Ce son sacré, mêlé aux notes stellaires revêt une symphonie et une mélodie divines qui sont d’une captivité très remarquable, appréhendant les sensibilités de la nature fluidique de toute chose, de toute substance. C’est donc ce chant qui guérit, soigne, en harmonie avec l’Iboga et les principes bwitistes.
Le son de la harpe sacrée permet à l’homme de se réconcilier et de vivre en harmonie avec lui-même. Il régule, sans que le néophyte le sache, l’activité de tous les éléments cosmiques et cosmogoniques. La symbolique de la danse est très essentielle dans le rite bwitiste et on ne peut parler de bwiti sans parler de danse. Ces sons émis par la harpe et qui font vibrer notre énergie ont en eux la magie de la guérison. C’est ainsi que se passe le film de notre vie (négatif ou positif) et celui du mystère de la création.
Sa mélodie est une puissance divine qui s’imprègne dans toute la nature atteignant en une fraction de seconde le magma et l’écorce terrestre pour atteindre l’abîme et rejaillir sur l’écoumène afin de pénétrer l’air, l’eau, le feu, la terre et les plantes qui sont les éléments moteurs du cosmos, atteindre leur quintessence, et les faire vibrer dans le but de louer Dieu (conf. Bible Psaume 150, doxologie finale).
Pour que ces sons fassent vibrer vos membres, il faut nécessairement passer par une initiation dans un des rites bwitistes où se fera une communion parfaite du corps et de l’esprit. Ce mécanisme ou cette phénoménologie, commence par un nettoyage systématique de votre inconscient et de votre subconscient après manducation. De ce fait votre corps et votre âme ne peuvent s’accorder en cette danse magique et curative que si votre esprit est libéré pour peser moins d’un gramme. Et dans cette forme de danse-transe on vit l’extériorisation de la pureté car la pureté rend le corps flexible, une certaine exultation se dégage de vous et suscite une exaltation totale similaire à la guérison et la beauté du geste inspirée dans toute sa dimension du sacré par l’esprit au cours de la danse initiatique. Cette danse est donc sacrée en dehors de son aspect magique et révélateur, car, si au cours de la manducation de l’Iboga on rentre en contact avec les plans divins, c’est justement à cause de cette symbiose de chants, de danses, de sons, de paroles… qui se passent dans l’homme. Chaque geste a un sens et chaque sens a son geste. Dans un aspect thérapeutique, il faut tuer le mal, l’écraser, le refouler, s’en dessaisir à l’exemple du Gospel et du Jazz qui ont été des musiques d’évasion de l’âme au cours de la traite des Noirs aux Etats-Unis.
L’évocation de certains chants initiatiques amène l’homme à se repentir. Le repentir est, dans le cadre de la métaphysique africaine, la première étape de la guérison. C’est avec elle qu’il se débarrassera de ses scories et de ses fautes, ex. ma dzoba ne minsem miam : genre de mea culpa considéré en initiation comme le premier chant pour accéder à la guérison avant manducation, et avant d’avoir pris contact avec le monde spirituel. Même si le patient n’avait ni la force ni le courage ni l’idée de le faire, rien qu’en écoutant ce chant il vous emporte de façon psychosomatique dans le film négatif de votre vie passée, présente et à venir. Ce chant provoque en vous une sorte d’auto-psychanalyse un peu comme la théorie de Sigmund Freud qui, mettant le patient sur le divan l’accablait de questions pour remuer son subconscient afin de le libérer (méthode d’ailleurs très appréciée par la science initiatique). C’est d’ailleurs par cette méthode qu’on peut faire une synergie entre la psychanalyse et la manducation de l’Iboga. Le chant « ma dzoba ne minsem miant » fait connaître au patient tout en dansant, la dimension paramétrique de ses péchés et c’est à ce moment qu’il les regrette amèrement.
De la philosophie de la danse sacrée
La philosophie est la base de toute spiritualité puisqu’il faut nécessairement passer par des méditations. La curiosité en matière philosophique et mystico-spirituelle peut se justifier par la connaissance de soi et de Dieu dans la vérité. Cette quête de connaissance fait naître en nous la curiosité qui est le désir de connaître les choses. Elle se manifeste au-dedans et autour de notre espace vital dans un contexte environnemental dans lequel l'homme doit pour accéder au salut, abolir son moi, le dissoudre dans le Tout pour une destination vers la guérison éternelle. Nous allons donc affirmer pour ainsi dire que la danse du sacré est une sorte de dialectique entre le fini et l’infini. La spiritualité étant un aspect de la culture, l’on peut dire que l’Iboga est le pôle autour duquel tournent toutes les étoiles de la constellation de la science spirituelle au niveau du monde.
Après la manducation naît une sorte de joie déterminée par une fin intrinsèque et essentielle pour la vie de l'initié. L'âme de l'homme rentre dans une sorte d'émerveillement qu'on peut qualifier d’admiration ; quelque peu surprise elle se porte à considérer avec une attention particulaire les objets, les entités, l'enseignement sapiential, les pas de danses qu'elle a découverts et qui lui semblent rares et extraordinaires. Elle rentre désormais dans une certaine consubstantialité avec le divin et se sentira guérie à jamais.
Nous savons qu'au point de vue scientifique, notre cerveau sécrète, des neurotransmetteurs qui nous permettent de saisir certains phénomènes de la nature et le physique, moral et spirituel que fait l’Iboga dans la découverte de soi ouvre à de merveilleux dons en ce sens que nous pouvons dire que la conscience est un champ utile et fertile où l’intelligence et la sagesse se cultivent avec des plantes essentielles comme la philosophie, la culture, la science, la danse, la musique et l’art.
Si nous nous référons à la philosophie cartésienne «Je pense, donc je suis » : donc j’existe ! . Je suis où et comment ? Je pense à quoi ? Et où ? Et comment ? J'existe où ? Et de quelle manière ? Tout cela s’exprime dans le chant et la danse initiatique. Par rapport à la nature je suis un microcosme dans le macrocosme, j'existe négativement ou positivement par rapport à ce macrocosme, je me définie. Pour que je prenne conscience de mon existence il faut que je me reconnaisse, que je me découvre et que je sache qui je suis, où je suis, qui j’ai été, qui je serai, où je serai et encore ce que je serai.
Je pars donc de l'être atome (néophyte, mauvais danseur) à l'être sublimé (bandzi, sage, intelligent, bon danseur) tout en considérant que la danse devient dans ce sens une véritable philosophie de la vie. Et si je me connais, par analogie, je connais la cosmogonie qui me détermine et la théogonie dont je suis sujet. Je connais désormais mon lien avec l'univers avec la Grande Ame, avec l'Etre Sublimé. Je me connais physiquement et spirituellement. Je peux d iscerner le bien et le mal. Je connais la voie de mon destin et même celui de l'humanité. Je vis, je pense j'existe donc réellement car je suis moi-même. « ô bonghi dzam ô buneghe wa myen dan dan wa myen etam » Ce qui signifie « N'être que soi dans toute action et en tout lieu, en toute circonstance; être son libre arbitre, exorciser la peur, la peur de mourir, la peur d'être, celle d'être face à un obstacle et de pouvoir transcender »
Conclusion
On peut ainsi dire que les incantations qui sont des paroles c’est à dire des ondes, mêlées à la danse, ont une puissance mystique sur la guérison de l’homme. Car, pour le tradipraticien, la vie, c’est l’union du corps, des sens, de l’esprit et de l’âme. Ainsi, le rite de la danse sacrée bwitiste, mêlé à la puissance du verbe, permet de partir de la double ignorance à la vérité : ignorance de soi, de l’autre, de l’Etre supérieur et des mythes et mystères qui entourent l’univers. Aller de l’identité physique à l’identité spirituelle, de l’état de néophyte à celui de sage, de la maladie à la guérison; et sortir du gouffre de cette double ignorance par la danse n’est-ce pas là une forme de guérison ?
Cet exposé nous a permis de savoir que l’on peut restaurer sa santé, créer un état de bien être physique, moral et spirituel en passant par la thérapie de la danse qui, aujourd’hui joue un rôle de guérison très considérable dans nos sociétés africaines. La danse initiatique n’est pas la vie mais elle est au-delà de la vie, c’est la recherche systématique de dépasser la vie pour la recherche de l’Absolu. Dieu danse à travers nous, pour extirper le mal, le détruire afin de l’oublier, en nous emportant dans une extase céleste lointaine. Il nous infuse et nous instruit à tout moment et en tous lieux. Toute l’action de l’homme est d’abord conçu sur le plan de la pensée, de la réflexion et de la méditation. Le bwiti est une unité transcendantale de connaissance et de révélation où toutes les lois de la nature se joignent et convergent vers la vérité. Le rythme dans la musique traditionnelle agit à la façon d’un médicament essentiel. Il intervient dans les rites de possession, dans le diagnostic, l’examen du malade, le traitement de la maladie, le rétablissement de la santé. Le rythme africain est une force vibratoire exceptionnelle. La danse initiatique bwitiste n’est pas une danse de superstition, mais une façon particulière et originale de voir le monde et de le transcender.
Pour construire notre unité, nous devons tous profiter des séminaires, colloques et conférences sur nos cultures, afin que dans un élan commun, la conscience africaine soit bêchée, remuée, fouillée et que soit ainsi mis en évidence la richesse enfouie à travers les âges, pour que « l’os soit brisé pour en sucer la substantifique moelle ».
3) « LA TRANSMISSION DE RITES DE GUERISONS »
Jean Ondeno Rebieno Auteur - Compositeur - Interprète Tradithérapeute
ORIGINE
De tout temps, la santé étant la préoccupation primordiale de l’homme, la précarité de son existence et l’hostilité de son environnement l’ont amené à se pourvoir d’un certain nombre de connaissances.
Observons dans nos régions, la rencontre de deux personnes se connaissant : nous constaterons que les accolades et embrassades sont toujours suivies de la sempiternelle question « comment allez-vous ? ».Si au cours de leur entretien, l’un des interlocuteurs venait à se plaindre d’une affection particulière, l’autre, dans le souci de lui venir en aide lui proposera une médication à base de plante visant à le soulager ou à le guérir définitivement (infusion, vermifuge, application…), donc recours à notre belle et vielle médecine traditionnelle que d’aucun aujourd’hui assimilent à la PHYTOTERAPIE. Preuve qu’en chacun de nous sommeille un traditérapeute puisque détenteur de recettes médicales ou médico-magiques. Ceci m’amène à établir les différentes formes de transmission de rites de guérison au Gabon.
Il existe à mon avis deux modes de transmission des rites de guérison qui sont : - 1/ La transmission naturelle (Ensemble d’enseignements reçus d’un ou de plusieurs maîtres initiés, ou de personnes non initiées).
- 2/ La transmission surnaturelle (Pouvoirs reçus de certaines forces surnaturelles - esprits, génies… transmission nécessitant de l’individu l’obligation de se faire initier à un rite particulier tel le Bwiti, Abandji, Elombo, le Ndjembé…).
I/ TRANSMISSION NATURELLE
La transmission naturelle des rites de guérison se fait à partir de la volonté de deux individus. L’un désirant parfaire ou enrichir ses connaissances dans le domaine des plantes médicinales ou de la médecine traditionnelle, l’autre animé par la volonté de transmettre afin de pérenniser un savoir. Mais à cette volonté de l’élève ou du disciple doivent s’ajouter l’abnégation, la disponibilité, l’obéissance et un comportement exemplaire qui sont à mon avis les critères de base d’un disciple voulant obtenir de son ou de ses maîtres un enseignement digne et conséquent.
Dans certains cas, le disciple n’est pas contraint de se faire initier à un rite particulier, sauf s’il le désire ou si son maître l’exige, comme par exemple pour le Bwiti Missoko qui a pour vocation de faire de ses adeptes des futurs tradithérapheutes appelés « ngangas ». Nous remarquerons qu’il existe bon nombre de tradithérapheutes dispensant des soins sans pour autant être des initiés à un ou des rites particuliers.
Mais en Afrique, l’enseignement seul ne suffit pas pour faire un homme. De même, le futur nganga aura besoin du « gage » qui le préservera de toutes les agressions spirituelles. Interviendra alors la bénédiction, ce « parchemin » (oral) qui lui donne l’assurance et la protection occulte dans l’exercice de sa future profession. La bénédiction est le couronnement de son abnégation, de son courage, de sa disponibilité et de sa conduite exemplaire durant son apprentissage. Cette bénédiction ne s’achète pas, ne s’impose pas non plus, mais vous est souvent donnée par l’ensemble des sages du lieu où le disciple a acquis ses connaissances et qui, de prés ou de loin, suivaient l’évolution du disciple. On accède en général au rite du Bwiti Misoko à la suite de problèmes familiaux, de troubles psychiques ou psychosomatiques. A première vue, l’adepte nouvellement initié au Bwiti n’a aucune prédisposition particulaire pour devenir un nganga ou un traditérapeute. Mais après son initiation, un enseignement rigoureux l’amènera à le devenir, si bien sur, il le désire.
Le Misoko est un grand esprit à tous les initiés, qui les prédispose à la voyance continuelle ; voyance qui est la mission première de cette société secrète. A celle-ci s’ajoutera enfin la thérapie issue de la connaissance de l’ensemble des plantes médicinales.
Le nganga du Bwiti Misoko ne rentre pas en transe. Il est conscient d’actes qu’il maîtrise parfaitement et qui obéissent à un rituel strict perpétué depuis les temps par nos ancêtres.
L’absorption de l’Iboga lui permet d’être en parfaite harmonie avec la nature, les esprits des ancêtres et enfin le créateur qui est omniprésent dans tous les actes, incantations et invocations qui concourent à guérir l’âme du malade en détresse. Les traitements se font, soit en s’accompagnant de chants et battements de tam-tams, soit en s’accompagnant d’un arc musical, instrument de prédilection.
Ses enseignements, le nganga du Bwiti Misoko les détient de différents maîtres spirituels. Enseignements gradués sur de nombreuses années avant d’aboutir à une autonomie, qui sera proclamée au cours d’une cérémonie rituelle secrète, puis ouverte au public. Ensuite, ce dernier ira compléter ses connaissances auprès d’autres personnes, car en général, un initié n’obtient pas toujours tout de son maître initiateur.
II/ TRANSMISSION SURNATURELLE
C’est donc suite à une affection physique, psychique ou psychosomatique que la transmission surnaturelle a généralement lieu. Celle-ci peut être contractée au cours d’une partie de pêche ou de chasse, après avoir ramassé un objet en brousse ou à la plage, en arrivant dans un endroit habité par un génie, en assistant à une cérémonie rituelle ou traditionnelle… affection dont la suite bouleversera à tors ou à raison l’existence de l’individu (le patient) et pouvant l’entraîner dans un déséquilibre aboutissant sur la folie ou même la mort au cas où ce dernier négligerait cette situation.
A ces manifestations, s’ajoutent les rêves, les songes et parfois les visions du patient, ou de certains membres de sa famille qui en témoignent. Le patient ira en premier lieu voir un médecin qui lui prescrira un traitement. Mais celui-ci ne le soulagera pas pour autant. Face à la persistance de la maladie, la famille se résoudra à consulter un traditérapeute (nganga) qui, à son tour exigera une voyance pour pouvoir déterminer avec exactitude l’origine et les cause de l’affection.
Cette consultation sera suivie de tests afin de confirmer la véracité de la voyance et convaincre les membres de la famille les plus sceptiques. La musique ayant une place prépondérante dans le monde des esprits, des chants et des sonorités d’instruments traditionnels envahissent l’espace, suivi d’un rituel bien orchestré et d’une gestuelle bien ordonnée par le maître de cérémonie, afin de mettre le corps et l’esprit du patient dans un environnement en harmonie avec l'essence ou le génie qui est la cause de son affection. Des invocations du nganga suivront, afin de supplier l’esprit ou le génie en lui faisant la promesse de répondre à toutes ses exigences dans un proche avenir. Au cours du rituel initiatique, le nganga devra user de tout son savoir, de son doigté, de sa dextérité et surtout de sa ruse pour séparer les bons esprits et génies des mauvais d’une part, et pour déjouer les influences négatives de certaines personnes malveillantes d’autre part.
Les rites initiatiques sont généralement accompagnés de chants rituels marquant des étapes importantes dans leurs cheminements. Et c’est au cours de ces différentes étapes que le nganga mettra le patient face au monde extérieur afin que ce dernier, en exécutant le rituel, permette à l’ensemble des initiés de savoir si l’esprit ou le génie qui le possède est bon ou mauvais.
L’esprit ou génie ayant répondu positivement à ces différentes étapes donnera ses propre chansons au patient, ainsi que des pas de danses se rapportant à son lieu d’origine. Cette danse est en fait non seulement une thérapie, mais aussi l’acceptation de tout le rituel et de tout le traitement administré au patient préalablement. Et dans ces différentes chansons, seront véhiculés des messages que seuls les initiés et les personnes averties comprendront. L’esprit ou le génie déclinera son identité, dira sa provenance, fera des prédications, dira surtout les raisons et les missions qui lui sont dévolues dans le monde des humains auquel il appartient désormais.
Apràs satisfaction totale de ses desiderata, le nganga, en retour lui demandera s’il est bien à l’origine des affections du patient. Ce dernier l’affirmera sans doute et promettra de guérir ce dernier. Santé que recouvrira le patient sans aucune autre médication. Son équilibre retrouvé, le patient fera désormais partie du cercle des grands initiés et détenteurs du patrimoine culturel du Pays (Nganga).Ces forces surnaturelles qui nous côtoient contribuent à la transmission des rites de guérison en acceptant volontiers de se mettre au service de l’homme, pour la construction, la solidification et la sauvegarde de l’humanité toute entière ; ouvriers de la première heure qui, depuis la nuit des temps, s’attellent nuit et jour pour trouver des remèdes aux grands maux de notre société, veillant subrepticement à l’essor de notre civilisation.
4) Keu-Mi : Danse de possession chàz les Akyé
(Sud-est de la Côte d’Ivoire)
Adepo Yapo Ethnomusicologue
Côte d’Ivoire
Introduction
Ayant étudié la musicologie, particulièrement l'ethnomusicologie, il est plus facile pour moi de parler du recours à la musique comme moyen thérapeutique que celui que l'on pourrait attribuer à la danse. Mais, lorsque dans la majorité des cas, mes recherches sur le terrain font apparaître que musique et danse participent à une même réalité, sur le plan cognitif anthropologique de certaines sociétés africaines, il me paraît possible d'entrevoir des effets thérapeutiques au travers d'une pratique de la danse, possibilité que les recherches sur la musicothérapie ont, pour leur part, établie.
Ce phénomène, je l'ai vécu en tant que musicien au cours de différentes performances dans la pratique de cet art. De plus en plus, la pratique thérapeutique par le biais de l'art est admise. Par l’exécution d'un morceau de musique composé à partir d'une combinaison heureuse de sonorités douces d'une sanza shona du Zimbabwe (Mbira) et d’une berceuse ougandaise, j'ai réussi à soulager des personnes qui avaient des maux de tête. Ceci me laisse croire que la danse, manifestation la plus visible et active d'une audition musicale pourrait entraîner chez l'auditeur mis en mouvement en état d'extase où les sentiments d'angoisses et de refoulement connaîtraient un dissipement, signe d'un soulagement semblable à une guérison car les effets de cette pratique sont bénéfiques pour le corps et l'esprit de l'exécutant, ce qui peut lui permettre de maintenir ou d'établir un état de santé. La santé selon l'OMS est un état de complet à une absence de maladie en d'infirmité. Dans les pages qui suivent je vais parler de ce qui se fait chez les Akye du sud-est de la Côte, une société africaine dans laquelle j'ai effectué la majorité de mes enquêtes sur le terrain dans le domaine de l'ethnomusicologie.
Contexte Social
Chez les Akye de Côte d'Ivoire, comme la plupart des peuples africains, la musique et la danse connaissent une unicité conceptuelle. En effet le terme MI désigne à la fois la musique qui à son tour renvoie aux instruments de musique et à la danse. De ce fait il y a MI que l'on danse.. Si jouer la musique équivaut pour l'Akyé, lancer et jeter, danser correspond à trembler tourbillonner se mettre en mouvement.
Ainsi la danse qui trouve ses reprises rythmiques dans la musique lui donne plus de visibilité au plan spatial. C'est peut- être pourquoi les Akyé n'ont pas trouvé nécessaire de désigner différemment. Ceci a permis à Gilbert ROUGET de dire ceci « les Africains dansent leurs chants et chantent leurs danses ». Chants et danses en Afrique s'inscrivent dans deux catégories. Ici l'on dénombre le sacré' et le profane. Cette notion de sacré et de profane est largement déboîte dans les cosmogonies de chaque peuple. Chez les Akyé, Keu-Mi, danse de possession ou des guérisseurs, se range dans la catégorie du sacré, c'est-à-dire qu'elle est strictement réservée 'à des personnes initiées et qui constituent une dont le cercle serait fermé à quelqu'un qui n'est pas des leurs.
Le mot Keu désigne une catégorie de signes, des animaux tràs habiles et agités dont le pelage conserve des poils blancs sur le thorax. Ces animaux constituent le totem des personnes initiées à cette danse Keu-Mi, qui dans le sens premier voudrait dire danse des singes ken à qui l'on attribue en pays akye, une qualité: malicieuse. Les Akye disent que l'on ne peut devenir Ken se en ken-shi que si l'on est doté d'une intelligence malicieuse.
Qui’ est Ken-sé ou Ken shi ? Qui peut devenir Ken-sé ?
La tentative de faire apparaître des éléments de réponse à ces interrogations pourrait nous amener à comprendre le processus en pays akyé, pour le commun des mobiles toute personne est en proie à ce conditionnement qui entraîne ou enclenche de phénomène paranormal que nous désignons ici sur le vocale de personne possédée par un génie, un esprit ou une autre force dotée de puissance surnaturelle.
La possession se manifeste sous deux formes. La première résulte d’un état pathologique du sujet qui, dans un premier temps, oblige les parents à engager des dépenses onéreuses pour que la personne concernée recouvre la santé.
Si l’état de santé du sujet ne s'améliore pas, l'on cherche d'autres moyens de guérison. Après plusieurs tentatives vaines, le sujet commence, au travers des songes qu'il fait régulièrement, à recevoir des messages du génie possesseur qui lui indique ses intentions, celles de se servir de son corps comme support pour opérer des pratiques thérapeutiques parmi les humains.
La seconde forme de manifestation est plus spectaculaire. En effet, le cas de possession des génies, notamment ceux de la forêt, se traduit par un enlèvement d'une personne dans le village et à qui les visiteurs font subir une réclusion en forêt et ce, pour une période plus ou moins longue. Quelque temps après le disparu regagne les siens, vêtu et entillé des attributs des guérisseurs.
Dans les deux cas, les néophytes doivent subir une initiation chez un maître qui est lui-même guérisseur. Pendant la période initiatique, le néophyte reçoit des instructions relatives aux pratiques qu'il est contraint désormais de développer. Outre l’enseignement du maître, le génie possesseur, les lutins, les génies géants et d'autres transmettent, par le biais du songe, les connaissances théoriques et pratiques relatives à cette profession de guérisseur. Parmi les connaissances, la musique et la danse ont une place fondamentale car au sortir de cette initiation c'est par elles que l'évaluation des apprentis guérisseurs sera faite. En effet, c’est au travers des événements artistiques rendus possibles par la musique et la danse que le néophyte sortant d'une longue période pathologique va se libérer et retrouver l'équilibre nécessaire à la santé dite parfaite. Il est troublant d'observer par fois des néophytes qui, auparavant n’avaient jamais pratiqué la danse, exécuter des pas de danse aux gestes purs et raffinés que l'on reconnaît aux maîtres de cet art. Ceci traduit éloquemment que ce phénomène décrit bien la danse de possession où le secret et le sacré se mêlent au corps et à l'esprit de l'initié pour rendre visible un autre monde auquel ne peuvent accéder les profanes.
Danser, dans ce contexte, est un acte de guérison pour le néophyte sortant de la période initiatique ; ce geste artistique ayant pour support rythmique la musique, permet au pratiquant de réaliser une seconde guérison, celle de pouvoir diagnostiquer les maux dont souffrent les patients ; ce conditionnement réalisé à l'aide de la danse permet également de dégager la posologie du mal ou de la maladie : « ordonnance ».
Si la pratique de la danse, les mouvements, les sentiments de satisfaction et de plaisir peuvent opérer une thérapie plausible, il n’est pas moins vrai que le spectacle qui en découle peut également entraîner d'autres sensations qui procurent au public des extases pouvant générer un bien-être. Le raffinement d'une chorégraphie peut créer une thérapie pour certains malaises d'ordre psychologique. Alors il serait aussi de compter donc le rôle social des danses populaires qui rythment la vie des populations en milieu rural. C’est sur ces notes rassurantes que je partirai de ce séminaire avec l'espoir que les hommes pourront expérimenter de façon consciente ces pratiques thérapeutiques dans l’art comme thérapie en général et plus particulièrement l'usage de la danse comme moyen thérapeutique.
5) La pharmacopée et le geste : Danses d’hier
et aujourd’hui
Jean Ondeno Rebieno Auteur - Compositeur - Interprète Tradithérapeute Liberville, Gabon
Origine
Au commencement était l’émotion. L’émotion suscita une expression dite corporelle. De l’expression corporelle sortirent les pulsations qui elles, engendrèrent des pulsions. Les pulsions donnèrent au corps une folle envie de s’exprimer autrement que par l’usage de la parole. Puis le pied commença à battre la mesure, pour imposer une cadence. Le rythme était né. Enfin, se leva l’homme qui commença à extérioriser ses sentiments par des mouvements chorégraphiques dans l’espace. La danse était née.
Qu’est-ce que la danse ?
Apparentée aux gestes de la vie quotidienne, la danse est un moyen d’expression par lequel l’homme utilise des battements de mains, des frappements de pieds, puis enfin, des instruments pour s’accompagner afin d’exprimer des sentiments intérieurs par des mouvements dans l’espace.
Né du silence, le son serait la première chose que l’humanité ait connue avant toute existence. Le verbe étant une émanation de celui-ci. Ainsi, selon toute vraisemblance, la peur serait à l’origine du premier pas de danse exécuté inconsciemment par l’homme, pour se donner du courage face à l’inconnu et à cet environnement qui lui est hostile et qu’il ne maîtrise pas toujours.
En Afrique, la danse traditionnelle tire ses origines en général de la forêt, de la savane où l’on rencontre toutes espèces d’animaux ou d’oiseaux. Observation profonde et minutieuse faite par l’homme afin de s’identifier et imiter le comportement particulier d’un lion, d’une panthère, d’un léopard ou d’un aigle. Animaux comme les oiseaux ou ayant une agilité (singe, écureuil, etc.…) ayant une ascendance ou une domination établie sur les autres espèces.
De cette observation proviennent les premiers danseurs qui sont les acrobates, les jongleurs, les funambules … Puis plus tard, la danse se stabilisera, s’anoblira. En fait la danse démontrera tantôt sa fougue et sa verve, tantôt sa grâce et son élégance. Ainsi nous connaissons une multitude de danses dont certaines sont :
1 .Les danses guerrières
Au Gabon, les danses guerrières étaient un ensemble de mouvements thérapeutiques du corps et de l’esprit généralement rythmés et exécutés par un groupe d’individus armés et dont la chorégraphie, les chants et les slogans précédaient ou laissaient deviner un affrontement. Pour cela, les guerriers se badigeonnaient de mixtures composées d’écorces de bois rouges et noirs réduits en poudre et mélangées à d’autres recettes ayant pour but de les doper afin de faire disparaître en eux la peur et la pitié, et d’autre part les protéger, les préserver ou les immuniser contre les armes de l’adversaire. Ces recettes faites des mixtures de plantes, et parfois d’ossements pouvaient servir soit de « vaccin » pour avoir de l’agilité, soit de breuvage pour la transcendance ou encore ignorer la peur et rendre les guerriers invincibles, voire invulnérables contre les épreuves de toutes les armes (balles, sagaies, flèches, machettes…)
Il fallait pour cela une complète abstinence sexuelle afin que l’esprit du guerrier soit en parfaite harmonie avec son corps. Une alimentation stricte et rigoureuse était conseillée et la préparation de celle-ci faite uniquement par des femmes n’ayant plus de relations sexuelles ou par de grands initiés.
Les grands esprits guerriers et protecteurs de la famille, de la tribu étaient invoqués au cours de cérémonies ou rituels sacrés et secrets. Le caractère secret de tout ceci ne devait être divulgué sous aucun prétexte.
Le maquillage effrayant devait rappeler un animal féroce ou un oiseau vorace « totem » du clan, de la tribu ou de la famille.
2. Les danses funèbres
Rituel souvent exécuté au sein de sociétés secrètes du Gabon, les danses funèbres peuvent être organisées lors du décès d’un initié, ou dans une moindre mesure, lors du décès d’un jumeau ou d’une jumelle. Les rituels peuvent varier selon la société secràte dans laquelle avait été initiée la personne décédée. Dans le Bwiti « Disumba » par exemple, au cours d’un rituel bien particulier, il est donné à la personne décédée et enterrée depuis un moment, de se matérialiser et revenir aupràs les initiés de sa confrérie, danser pour la dernière fois avec eux dans le corps de garde (La Mbanja), en présence de l’assistance éberluée et ébahie.
Rituel insoutenable pour certains membres de la famille, il leur est demandé néanmoins de s’abstenir de pleurer, et cela, pendant tout le temps que durera ledit rituel. Seul les grands initiés auront le droit d’approcher et même de lui demander de s’exprimer, si ces derniers le désirent.
Ce rituel rare ne se passe que la nuit et est appelé « Bwete amwenge » (deuil). Il est accompagné de battements de trois ou quatre tambours appelés « Ndungu », pour le tambour jouant les solos, tambour représentant le mari ; le « Mobenda » qui représente la femme et les deux « Misumba » représentant les deux enfants.
3.Les danses initiatiques
Les danses initiatiques sont, de nos jours, un ensemble des mouvements constituant un rituel dans lequel, à travers des chants, des gestes et une chorégraphie codifiée et particulaire, on fait accéder un profane à un nouveau groupe d’appartenance, en lui révélant à travers ladite chorégraphie, les rudiments de la connaissance de cette société secrète à laquelle il va désormais appartenir. Le nouvel initié est accompagné en général de son parrain et de son maître spirituel qui le guide dans ses premiers pas et enseignements par. A ce premier rituel, le nouvel initié ne comprend généralement rien de toute ce qui se dit et se fait, mais doit néanmoins non seulement être associé mais exécuter ce rituel qui est une thérapie et une forme d’acceptation de l’ensemble des traitements qu’il aurait reçus pendant son initiation.
La quasi-totalité des danses initiatiques traditionnelles du Gabon ne peuvent se faire sans l’apport du feu qui est, comme l’eau, un élément sacré et purificateur. Car, dans notre monde ésotérique, le feu est la représentation matérielle de Dieu le créateur.
4. les danses courtisanes
En Afrique centrale en général et au Gabon en particulier, la chorégraphie de la femme doit refléter sa féminité et sa grâce et, généralement, la partie postérieure de cette dernière est largement et souvent mise à contribution pour magnifier la fécondité, alors que pour l’homme, sa puissance, son agilité et sa virilité priment. Nous remarquerons qu’au cours d’une danse, tandis que la femme s’emploiera à faire bouger son postérieur, l’homme, quant à lui, cherchera toujours à simuler l contact avec la partie postérieure de la femme. Et d’ailleurs, dans certains rites initiatiques, la simulation de l’acte sexuel est présent et parfois obligatoire dans la chorégraphie des initiés qui à leur tour s’emploieront à les faire exécuter aux jeunes initié(e)s. La quasi-totalité des ethnies du Gabon ont au moins une danse courtisane, danse dont la chorégraphie exécutée par une personne se trouvant au centre du cercle et qui, après quelques pas d’exhibition va inviter une personne de sexe opposée en simulant un acte sexuel.
A l’exemple du Mabumi (Massango), Ekunda (Myànà), Malamu (Lumbu), Elone (Fang), Ikoku (Punu) etc. Ces danses dites courtisanes peuvent également avoir un caractère rituel (cérémonie des jumeaux) dans laquelle des chansons grossières sont souvent associés à une chorégraphie les expliquant. Elles peuvent être ou faire partie d’un rituel initiatique, d’un rituel faisant partie d’une danse funèbre. Cette chorégraphie peut prendre des allures d’une danse de provocation pour une danse guerrière ou une danse de réjouissance ou profane.
5. Les danses rituelles
Les danses rituelles sont en général des danses exécutées pour les circonstances particulières (jumeaux, offrandes, etc.) et dont l’ensemble des mouvements et comportements sont généralement codifiés. Ces mouvements et comportements sont fondés sur la croyance et l’efficacité de leurs effets qui peuvent souvent se répéter. Ces cérémonies rituelles peuvent se faire avec ou sans tam-tam, mais rien qu’avec des chants appropriés qui peuvent le maître des cérémonies à exhiber parfois quelques pas de danse. Chorégraphie se rapportant à une situation précise, un animal précis ou un comportement.
6. Les danses profanes, danses de réjouissance et danses modernes
Les danses de réjouissance sont, en général, un ensemble de mouvements de corps généralement rythmés et cadencés, exécutés par un individu ou un ensemble d’individus, et dont la chorégraphie exécutée est libre et ne fait pas partie d’un rite particulier.
Puisées généralement dans les danses traditionnelles, les danses modernes deviennent souvent des phénomènes de société, et contribuent à exprimer un sentiment de joie, de désir de répulsion….
De nos jours, elles peuvent traduire également des contestations, des problèmes d’environnement, de pauvreté, ou dénoncer même une oppression.
A travers elles, l’homme dévoile une facette de sa personnalité. L’homme ne peut vivre sans la danse, en un mot, sans le rythme. Ce rythme qui, associé à certaines sonorités deviennent la musique, cette musique qui est notre partenaire de tous les temps et qui, sans elle, le monde n’aurait aucun sens.
6) RITE VODOU DE DETECTION DU SORCIER
Codjo SODOKIN
Diplômé d’Etudes Supérieures Spécialisées en Aménagement Rural Docteur en Histoire et Civilisations
La sorcellerie est une puissance que l’on qualifie couramment de maléfique, mais qui peut être utilisée dans le bon comme dans le mauvais sens… Elle est donc une force ambivalente, ambiguë pouvant nuire ou protéger. Elle suscite en tous cas la peur. On la range souvent dans la catégorie des « pouvoirs de nuit » pour dire qu’elle participe à la domination et à la destruction Dans les communautés de vie économique, religieuse ou initiatique, les membres sont tenus de se soutenir par des relations de solidarité sacrée, inconditionnelle ; le sorcier lui, fait le contraire en rompant avec cette obligation, se permettant de « manger » ses proches au lieu de les protéger. La sorcellerie, cette intelligence de nuit, est réputée spéciale et supérieure à l’intelligence humaine ordinaire. C’est pourquoi elle est mise en cause à propos de toute anomalie au sein des sociétés. C’est pourquoi elle est à la fois contradictoirement détestée et inconsciemment enviée.
La sorcellerie, d’après les mythes, les contes et légendes a toujours existée… elle s’acquiert soit à la naissance, soit par le contact ou a aussi par « l’achat ». Cependant, elle connaît une évolution et des transformations alors qu’à l’origine, elle était l’apanage des ancêtres pour la protection du Clan. De nos jours, elle est à la portée de n’importe qui, même des jeunes, envieux, qui l’utilisent pour faire le mal. Aussi, le sorcier, paradigme aux multiples connotations à travers le devin, le féticheur ou le tradi-praticiens, est-il combattu par des ADZE-VODU, qu’on peut définir comme des vodu anti-sorciers, tout aussi nombreux.
I/ LA RECONNAISSANCE D’UN SORCIER
Singulièrement, le sorcier n’est pas bien considéré dans sa société. Personne ne s’affiche en tous cas sorcier… car il est supposé prêt à causer des tors à des personnes innocentes…. Les pires d’entre eux s’organisent discrètement pour « manger » de la chair humaine. Ils ne s’exposeront jamais à aller chercher leurs victimes au vu et au su de tout le monde. Ils monteront plutôt un piège, un stratagème ou prendront un masque. Ils provoqueront la pluie, un tourbillon, ou un arbre tombera sur la victime ciblée ; un serpent peut mordre une personne visée, sans négliger la morsure d’un rat qui peut être utilisée dans un même but. D’autres exemples abondent, comme deux frères se querellant, et l’un d’eux transperçant le corps de l’autre avec un couteau… des personnes perturbées par des voix invisibles… ou attaquées par des défunts.
Les sorciers veulent se couvrir de tout soupçon : à défaut de les attraper en flagrant délit, on se contente de les soupçonner… et on imagine qu’ils sont les plus malins…Des fois, les victimes commencent à les décrire …Très vite, on leur attribue tous les maléfices : « on est venu m’appeler », « on m’a a envoyé un serpent, un rat noir », le « on » c’est le sorcier, sans préciser exactement qui.
Les sorciers agissent donc souvent en corporation pour se prêter main forte. Ils opèrent cachés et associés ; ils mangent également ensemble, à un carrefour de chemins, dans le tronc d’un arbre, dans le sein d’une colline… Le principe de l’association est celui de l’implication et de l’endettement : en mangeant de la viande rapportée par des associés, on a l’obligation de la rembourser. Ainsi, le cercle est-il toujours reproduit par un pacte de liaison. Il y a d’un côté ceux qui ont commis le forfait (les grands sorciers) et de l’autre, ceux qui en associés, n’ont fait que prendre part au repas (les petits sorciers). La distinction n’est pas évidente.
Le sorcier peut se trahir par ses propos et par des faits… Lorsqu’à un âge avancé, quelqu’un devient borgne ou boiteux, c’est souvent interprété comme la sanction subie par un sorcier qui n’a pas pu honorer ses engagements… Mais les moyens les plus indiqués pour reconnaître un sorcier sont le rêve et la divination.
Dans le rêve, on voit celui qui cherche à nuire… La divination, par le Dieu-IFA, est considérée comme plus fiable. Les devins (les BOKOUNONS), interprètent les messages de l’invisible transmis par une divinité appropriée, AFA, l’une des déités les plus notoires du panthéonVODU. Le FA est une entité centrale dans la cosmologie vodouiste : Apràs le couple suprême MAWU/LISSA (MAWU, le dieu suprême féminin, l’orient, la lune, et LISSA, dieu masculin, l’Occident, le soleil), siège le FA, personnification de la volonté de Dieu, par l’intermédiaire du BOUKONON. Il est le symbole de la vérité, dans cette triade céleste…Le FA est le porte-parole de l’au-delà qui règle tant la vie individuelle que collective, à condition qu’on le consulte, surtout à propos de la réalisation des rites…
Pour détecter un sorcier, le FA demeure donc le dernier recours. Mais celui-ci peut protester, car les BOUKONONS ne sont pas tous de la même importance ni de la même efficacité.
LES ACTIONS DETECTION
Il s’agit des pouvoirs que peuvent avoir certains vodous personnels tels que AKPATSU, KENESI, AZON, DJAGLI… pour mettre à nu un sorcier par-delà l’action permanente des « Grands Vodous » tels que HEVIESSO, SAKPATA, OGOU DAN, détenteurs d’attributs généraux… Le sorcier est censé posséder des pouvoirs malins que le VODU doit supplanter, vaincre ou anéantir.
Le sorcier peut se dédoubler, faire le déplacement aérien, traverser la matière… on dit que le sorcier sort de sa peau (ETO SO AKPAME), utilisant ainsi son double pour opérer, même dans un endroit clos.
Ses médiums doivent également être anéantis : les oiseaux ou les animaux qui sont ses agents : hiboux, chouettes, chats noirs, porcs, éperviers, chauves-souris… Certains arbres forts : l’iroko, le baobab… servant d’abris aux esprits et aux sorciers, doivent être abattus rituellement… Il faut éteindre cette fameuse lumière qui, sous forme d’éclair intermittent indique souvent la présence d’un sorcier…et empêcher le sorcier de planter des objets dans le corps de la victime présumée. Ces objets peuvent être des tessons de bouteilles, des cailloux, des aiguilles, des petites bêtes, des cheveux, qui provoquent des blessures d’organes intérieurs…Enfin, il faut surtout s’opposer à la manducation de la chair du vampirisé sinon la mort de la victime devient inévitable.
Le guérisseur doit tenir compte que tout ce processus d’agression des sorciers est accompagné de poisons, de nuisances par contacts souvent invisibles, d’appels au démon, de regards maléfiques, d’impositions de mains, d’incantations… et qu’ils peuvent aussi subtiliser ou séquestrer de double ou l’ombre des victimes (O DOKA EBE LINDON) et dans ce dernier cas, il y a inhibition ou subtilisation de la force vitale ou de l’instance mobile de la personnalité des victimes.
La danse de détection ou de libération commence par la préparation du remède anti-sorcier - antidote - qui confère l’invulnérabilité aux agressions que nous venons de décrire.
Voici les ingrédients pour réaliser un des nombreux antidotes qui existent :
Une calebasse ou une jarre avec couvercle. On y met :
- une tête de chouette (ADZEXE),
- une tête d’écureuil (ASO),
- une tête de rat des champs (KISI),
- un morceau de vêtement d’une personne décédée par sorcellerie,
- un canif,
- 7 aiguilles,
- 7 hameçons,
- de la boue de rivière,
- des petits piments mûrs,
- un coq rouge,
- de l’huile de palme.
Tout ceci sera porté par une HOUNSI (AKAPATSUSI), une adepte du Vodu qui aura un chapelet de trois cauris à la bouche.
Les HOUNSI peuvent être aussi à plusieurs lors de la procession qui s’ébranlera dans le village. Le tam-tam, les chants déchaînés, les danses, les transes… Le vodou oriente le bagage qui contient les remèdes vers les sièges de sorcellerie… L’animateur de l’événement, une queue de cheval à la main, objet protecteur et opérationnel, crache de temps en temps du poivre de guinée et du sodabi, alcool de palme (CAYI-CAYI) ou récitant un « GBESA » particulier, paroles incantatoires pour rassurer les adeptes. Des citations nominatives à valeur obligatoire interpellent les intelligences subtiles qui surveillent l’exécution des travaux. Elles alertent la puissance transcendante ou la font actionner. Le prêtre égorge un coq, que les assesseurs enfouissent dans les entrailles de la terre. La suite peut présenter des scénarios divers : il arrive que le sorcier se rende, en dénonçant les autres et dévoile des secrets , il peut fuir le village ; il arrive qu’il devienne fou…
La foule se disperse dans le calme, après avoir goûté, les ingrédients de la marmite- miroir… Tout étant fait pour protéger l’adepte porteuse du récipient… dont l’efficacité est d’ailleurs fonction de l’intensité de son mariage hiérogamique.
Au terme de cette présentation, force est de reconnaître que le champs religieux traditionnel africain en général, et vodouiste en particulier, présente une grande complexité qui lui vient de la diversité, tout à la fois du fait religieux lui-même, des vastes espaces sociaux où il se déploie, et des intérêts historiques et culturels qu’il soulève. Une saisie des religions africaines dans leur structure de base, dans leur dimension profonde, et dans leur cohérence interne est un véritable écheveau… comparable à la Forêt des Abeilles au Gabon, sans points de repères pour pouvoir se diriger avec la certitude d’en sortir.
La question de la sorcellerie appréhende plutôt la notion de personne dans sa vie concrète, travaillant pour vivre et faire vivre, subissant également la méchanceté de ses congénères qui disputent avec elle le même espace vital. La personne, être à quatre dimensions (le corps, l’ombre, l’âme et le souffle ou l’esprit) est plus que fragile. A sa mort, l’âme se coupe, le corps cesse de vivre pour se décomposer, le double disparaît et l’esprit sort du corps pour s’en aller dans le monde des morts.
La sorcellerie use et abuse de cette faiblesse de l’homme foncièrement croyant et culturellement situé. L’homme dans son individualité est à la fois produit et acteur de l’existence collective. La sorcellerie en tant que telle est une tranche de la culture qui survient dans tous les rapports sociaux et historiques. Il existe indéniablement des rapports d’interférence, d’inter influence et d’inter communication entre le corps et les valeurs sociales dominantes… voire écologiques (climats, rivières, terres, astres…)
L’efficacité, la réalité de la sorcellerie pourrait résider dans cette interaction, mécanisme qui associe corps, rapports sociaux, culture et individualité. Lorsqu’un problème, par exemple, surgit dans la société, il est représenté par la culture de la société en question qui en traduit le message à l’attention de l’individu concerné… Par exemple, dans une société matrilinéaire si un neveu nanti ne participe en rien à la vie quotidienne de son oncle, il peut s’imaginer aisément que ce dernier est mécontent, surtout lorsque d’autres personnes en parlent…La sorcellerie apparaît alors comme une scène d’existence sociale, dont elle se sert pour exprimer les relations de haine, d’hostilité, de frustration, d’anxiété et de responsabilité. On ne suivra pas la sorcellerie en cherchant à déchiffrer les limites de la rationalité. Il faut d’abord reconnaître l’ordre de la logique singulière qu’elle représente. La condition humaine est constamment menacée, en rapport avec les instances psychogénétiques ou cosmiques, et en rapport avec l’instance anthropologique. Des forces propitiatoires interviennent pour protéger son évolution grâce à des mécanismes de secours et de soutien : c’est cette fonction que s’assignent certains rites vodu, qui se rapportent à la libération de la sorcellerie que nous venons de suivre.
7) Quels apports de la médecine traditionnelle africaine aux organes nationaux de santé ?
Jérome Mba Bitome
Chercheur à l’université Omar Bongo, Gabon
Introduction
Loin d’être élucidée ou considérée comme accessoire, la question relative concernant les apports éventuels de la médecine traditionnelle aux organismes nationaux de santé est toujours à notre avis au cœur de tout processus d’intégration ou plus exactement de toute recherche de collaboration entre le système de soins dit moderne et celui considéré dit « traditionnel ».
En effet, non seulement la nécessaire connaissance de ces divers apports devrait amener les tradi-praticiens à mieux s’exprimer face aux professionnels de la santé (médecin moderne) parce qu’ils auraient mieux maîtrisé les différents domaines qui feront l’objet de leurs apports, mais elle devrait aussi, en intégrant le processus « réflexion-action et action-réflexion », permettre, à travers de refus du passé et du présent, de progresser vers un avenir meilleur, basé sur une idéologie sanitaire pour l’Afrique qui s’appuierait sur un ensemble des valeurs, des croyances et des représentations.
C’est dans cette perspective et à la lumière du constat fait au Séminaire atelier sur la médecine traditionnelle, récemment tenu à Libreville, que nous nous proposons de tenter de dégager des principes et/ou des orientations susceptibles de garantir une collaboration harmonieuse entre les deux systèmes de soins, collaboration franche, sans concession, mais pleine de compréhension de part et d’autre et pouvant, à terme, générer des nouvelles pratiques de soins, enrichir la vision actuelle des soins, dans le souci de satisfaire et de faire bénéficier les populations, combien nécessiteuses et démunies, de leur droit à la santé.
Nous n’avons pas la prétention ici de présenter une liste d’actions de tradipraticiens, mais de susciter une profonde réflexion en proposant quelques principes et orientations en vue d’une meilleure intégration ou chacun amène son propre « produit » à travers lequel il affirme son identité culturelle et sa manière de concevoir et de représenter la vie.
Cadre de réflexion
Rappelons que le thème « médecine traditionnelle et son rôle dans le développement des services de santé en Afrique » avait été le seul à être choisi à l’unanimité parmi tous les sujets proposés à la quatrième session du comité régional de l’OMS pour l’Afrique tenue à Brazzaville en septembre 1974. Ce thème répondait aux « préoccupations des participants, soucieux de consacrer toutes les ressources disponibles ou exploitables au développement sanitaire et de mettre à contribution les guérisseurs qui ne doivent plus continuer à être considérés comme des éléments marginaux. »(1)
De plus, ce souci se justifiait non seulement par le fait que plus de 80% des populations africaines, sans distinction de sexe ni rang social, ont recours à la médecine traditionnelle, mais aussi parce que les divers problèmes de santé identifiés à cette époque (et qui malheureusement persistent avec la même intensité jusqu’aujourd’hui), ont montré que la médecine moderne, en dépit de ses découvertes spectaculaires au cours du 20àme siècle, « s’est avérée inapte à résoudre les problèmes de santé des populations rurales » (2), (même celles des bidonvilles qui ceinturent les grandes villes des pays en développement notamment en Afrique) alors que la médecine traditionnelle, pilier du patrimoine culturel africain recèle des forces potentielles capables de suppléer ou de remédier à certaines de ses insuffisances. C’est là le point de départ de l’idée d’une intégration de la médecine traditionnelle au système national de santé.
Aperçu sur l’application de l’intégration du médecin traditionnel
Depuis lors, sous l’impulsion de l’OMS et agissant notamment dans le cadre de l’approche des soins de santé primaires définie à Alma Ata (URSS) en 1978, certains pays ont, soit amorcé le processus d’intégration en créant de nouvelles structures au sein de leur ministère de la santé (directions ou services de médecine traditionnelle) soit en favorisant les tenues locales des colloques sur la médecine traditionnelle, soit en suscitant les associations nationales des tradipracticiens, soit encore en les intégrant dans les programmes d’instituts spécialisés après avoir identifié un domaine d’intérêt précis (cancérologie, pédiatrie, dermatologie, hépatologie neurologie, obstétrique…), ou dans les programmes nationaux de santé (application de l’approche des soins de primaires).
Situation actuelle au Gabon
Au Gabon, comme dans beaucoup d’autres pays, le processus d’intégration de la médecine traditionnelle est encore à un stade embryonnaire. En effet, notre pays vient seulement d’amorcer celui-ci avec la tenue d’un premier Colloque-Atelier national sur la médecine traditionnelle organisé par le ministère de la Santé Publique du 28/11 au 1er/12/1999. Ce Séminaire a d’ailleurs été avantageusement repris et renforcé par la première conférence internationale sur le Bwiti organisé par le LUTO du 8 au 13 mai 2000, qui s’est beaucoup intéressée à l’aspect thérapeutique, notamment dans le cadre de l’initiation au Bwiti.
Ce séminaire a débouché sur certaines recommandations pertinentes dont quelques-unes ont déjà reçu un écho favorable au niveau décisionnel le plus élevé du pays (conseil des Ministres), avait un triple objectif :
· La promotion et la valorisation de la médecine traditionnelle ;
· L’encadrement technique et scientifique de la médecine traditionnelle ;
· L’adaptation d’une réglementation et le respect des règles d’éthique de cette discipline.
.Tout observateur averti a pu y faire les quelques observations suivantes :
· Les objectifs reflétés par certaines recommandations, s’inscrivent dans une logique d’intégration à caractère coercitif ou le tradipraticien est « prié » de se soumettre au système des soins moderne. Cette intégration progressive et réglementée des détenteurs de la médecine traditionnelle préalablement formés aux exigences de base de la médecine moderne (asepsie, hygiène…) ne laisse-t-elle pas entrevoir, à terme, une « phagocytose » des tradithérapeutes et de leurs pratiques ?
· Les médecins et les pharmaciens qui ont conduit et marqué les débats tout au long du séminaire, n’ont fixé leur intérêt pour la médecine traditionnelle que par rapport à l’usage des plantes. Peut-on uniquement réduire la médecine traditionnelle à la phytothérapie ?
· Les professionnels de la santé se sont imposés aux tradi-praticiens comme étant pratiquement les seuls détenteurs de la connaissance médicale. Une telle attitude peut-elle garantir une franche collaboration entre les deux systèmes de soins ?
· Les tradi-praticiens ne se sont pas suffisamment exprimés face aux médecins et pharmaciens, comme s’ils étaient désormais résolus à jouer le rôle d’« auxiliaires des infirmiers auxiliaires » que l’on pouvait aisément imaginer à travers les propos et réactions des professionnels de la santé.
Ces quelques observations nous amènent à dire que les professionnels de la santé, en tant que responsables de l’organisation du Séminaire n’ont envisagé d’examiner que les dimensions de la santé relatives à la santé publique et à la promotion sociale, à la recherche scientifique et au développement économique.
En effet, la dimension relative à la santé publique et à la promotion sociale reconnaît l’urgence de mettre à la portée des populations surtout rurales, si déshéritées en matière des soins de santé, des moyens simples, faciles et peu onéreux pour protéger et améliorer leur état de santé. Les guérisseurs traditionnels, en raison de leur importance numérique et de leur influence auprès des populations, sont présents comme des « personnes ressources » que l’on pourrait intégrer dans l’équipe de santé.
La dimension scientifique s’explique par le fait que la pharmacopée africaine utilise des produits d’origine végétale, animale et minérale dont sont issus de nombreux produits chimiques pharmaceutique. Cette pharmacopée pourrait dans l’avenir contribuer à alimenter la fabrication éventuelle des produits médicamenteux.
Enfin, la dimension économique est envisagée dans la mesure où les plantes et les autres produits utilisés dans la médecine traditionnelle peuvent être employés à l’usage local et à l’exportation soit de manière artisanale, soit sous forme de produits industrialisés, ce qui permettrait de limiter l’importation de produits pharmaceutiques.
Ce sont là des idées forces qui ont permis depuis plus de trois décennies, de définir les orientations classiques de l’intégration des tradi-praticiens. Mais si elles sont pertinentes par rapport à la situation de la région, elles ne sont pas exhaustives et ne peuvent pas toujours répondre aux attentes des populations, ni envisager un avenir prometteur du médecin traditionnel africaine. Elles doivent être complétées par des idées concernant la dimension culturelle de soins.
Aussi, chaque pays doit-il chercher à comprendre les causes qui rendent la médecine moderne inapte à satisfaire les besoins en soins de santé des populations afin d’examiner dans quelle mesure la médecine traditionnelle pourrait favorablement contribuer à l’amélioration de la situation, notamment en ciblant ses actions sur les causes d’inaptitude de la médecine moderne évoquée ci dessus.
Distinction entre médecin moderne et médecin traditionnelle
L’on sait qu’en dehors des insuffisances quantitatives et qualitatives des personnels de santé, des lacunes sur les plans organisationnel et institutionnel, l’approche scientifique, base de la médecine moderne a pour caractéristique fondamentale d’isoler les éléments d’un ensemble afin de mieux les étudier ; elle ne peut donc pas rendre compte des aspects aussi complexes que les soins de santé axés sur l’individu, sur la famille et sur la communauté qui impliquent des interventions planifiées au niveau de l’environnement global.
En effet, pour le raisonnement cartésien, la maladie est nécessairement due à une cause physiopathologique matériellement vérifiable, la machine humaine étant constituée d’organes, comme toutes les autres machines, c’est à dire d’un assemblage de pièces détachées, fonctionnant chacune pour son propre compte, mais suivant une synchronisation spécifique avec d’autres pièces. L’organe malade est soigné pour lui-même, rarement au regard sur les autres organes qui l’entourent. Cette médecine a dissocié en l’homme, l’esprit considéré comme élément sain, donc exempt de toute maladie du corps, porteur de péché, de souillure, de maladies…qu’il faut soigner…il l’a aussi amputé de tout sentiment, de toutes relations et d’échanges avec l’environnement social et écologique.
La médecine traditionnelle, quant à elle, reflète sous toutes ses formes un mode de vie, un mode de pensée, une culture spécifique, une facette de la culture et du patrimoine religieux africains. Elle considère la maladie comme liée directement et indirectement à des facteurs non organiques qui peuvent être rarement visibles (parasites intestinaux) mais le plus souvent invisibles. Ils sont introduits dans l’organisme par des êtres anthropomorphisés. Mais la maladie est aussi la résultante d’un déséquilibre entre l’homme et son milieu. Celui-ci comprend quatre pôles essentiels :
· Le pôle phylogénétique (pôle majeur) qui comprend la relation entre l’homme et les ancêtres derrière lequel il faut entrevoir la notion de Dieu (relation phylogénétique)
· Le pôle ontogénétique qui comprend la relation entre l’homme et sa famille (relation ontogénétique)
· Le pôle sociocommunautaire qui comprend la relation entre l’homme et la communauté (relation communautaire).
· Le pôle environnemental qui lie l’homme aux divers éléments de la nature et de l’écosystème (air, eau forêt, faune, flore, relation environnementale).
C’est-à-dire que pour la médecine traditionnelle la maladie peut siéger ailleurs que dans les organes et qu’il importe de regarder au-delà du corps pour apprécier la notion de santé-maladie. Comment comprendre et identifier cet « Ailleurs » où peut encore siéger la maladie ? Quel est cet « Au-delà » du corps qui peut aider à apprécier d’une autre manière la notion de santé-maladie ?
Les quelques idées et interrogations ci-dessus nous amènent à dire qu’il est indispensable de chercher à étudier la médecine traditionnelle en tant que partie d’une culture qui a sa dynamique, son histoire, ses valeurs, ses représentations et ses croyances. Car il n’est pas possible de parler de santé ou de soins sans chercher à comprendre la représentation que l’on se fait de l’homme dans la société en question. Tous les grands théoriciens des soins à l’exemple de Martha Rogers, Imogène King, Hildegarde Peplau, Nightingale, pour ne citer que ceux là, ont justement défini leurs modèles de soins à partir de la conception de l’homme qui prévalait dans leur milieu social.
Dès lors, il ne s’agit plus simplement de former les tradi-praticiens aux techniques d’asepsie et d’hygiène pour pouvoir les intégrer comme des simples agents de l’équipe de santé, mais de leur permettre de nous montrer ce qui va constituer concrètement le pourquoi et le comment de leur apport. Ce n’est que dans cette optique qu’i est possible d’examiner les modalités d’intégration de cet apport dans le processus actuel de soins de santé.
Préalables pour une meilleure identification des apports de la médecine traditionnelle. Ces préalables concernent la connaissance de la culture des membres qui doivent bénéficier des soins de santé. Mais la culture d’une communauté, d’un peuple ne peut être mieux étudiée qu’à travers l’homme, être vivant à la fois biologique, psychologique, socio spirituel et « lignagé », sans dissociation possible, et ayant une évolution double biologique et socioculturelle et soumis à toutes les influences complexes et interdépendantes - être de sang en ce sens qu’il est toujours émerveillé et attiré pour l’inexplicable, le sacré.
Pour l’homme africain en général et gabonais en particulier, le concept de santé, qui ne diffère pas de celui de vie, est compris dans un même univers humain spécifié par une communauté d’appartenance où interagit dans une constitution grandiose :
· Un ensemble de valeurs culturelles fondamentales ;
· Les dispositions juridiques manifestant les règles de coexistence communautaire ;
· La structure fondamentale des hiérarchies ;
· La conception et la représentation de la vie, de la naissance, de la procréation, de la mort ainsi que les procédures rituelles qui les prennent en charge, bref toutes les expériences, croyances et pratiques socioculturelles qui constituent un vaste réseau de significations humaines intimement liées entre elles dans un même horizon anthropologique.
Ce sont ces relations intrinsèques, inhérentes aux divers aspects d’expression d’une communauté humaine qui imposent une orientation épistémologique de la communauté humaine, dans les limites de son propre horizon de sens. Le but de cet horizon de sens est axé autour et sur une problématique unique : l’homme dans son milieu social et écologique.
C’est-à-dire que pour comprendre les problèmes de santé-maladie et de soins des gabonais, il faut d’abord comprendre en profondeur l’homme gabonais dans la stricte mesure ou nous comprenons la nécessité de l’impliquer comme co-partenaire à part entière dans la prise en charge des problèmes de santé.
Dès lors, l’intérêt de la recherche et des connaissances fondamentales en matière de santé-maladie devient indispensable d’autant plus qu’il est apparu au fil des années d’expérience de terrain que les seule connaissances biologiques (issues de la science) si performantes soient-elles devenues, ne suffisent plus à la réalisation concrète de programmes de santé publique.
Si les sciences sociales et humaines deviennent des partenaires nécessaires à la santé, la médecine traditionnelle et les tradi-praticiens constituent en Afrique, une réalité socioculturelle de fait. Intégrer cette donnée fondamentale c’est non seulement rechercher une meilleure intelligence de nous-mêmes, mais aussi une meilleure connaissance de l’homme africain. Celle-ci passe par une étude approfondie et indispensable des pratiques et de l’expérience de tradi-praticiens afin de mieux cerner, à partir des différents processus de soins (danse, parole, musique, invocation, sacré…), les aspects qui, en raison de leur pertinence et de leur innovation peuvent susciter, dans le processus des soins de santé, les différents apports de la médecine traditionnelle d’ordre pharmacologique, sociologique, psychologique, anthropologique, relationnel et médicinal.
Conclusion
L’on peut donc dire qu’une intégration méthodique selon l’esprit ci-dessus devrait déboucher soit sur l’élaboration possible d’une théorie de la personnalité africaine, soit sur une nouvelle vision du processus santé-maladie fondé sur un ensemble de valeurs, de croyances et de pratiques propres aux cultures africaines, mais surtout sur une sélection méthodologique des techniques traditionnelles appropriées pouvant à terme générer des techniques alternatives de soins. Il convient à cet effet que les tradi-praticiens acceptent de mieux s’ouvrir non pas seulement aux professionnels de la santé mais aussi aux professionnels des sciences sociales et humaines. Cela nécessiterait de mettre en place une structure interdisciplinaire qui constituerait le lieu de rencontre périodique entre les tradi-praticiens et les chercheurs en sciences sociales et humaines. Cette structure permettrait d’allier la pratique du terrain qui devrait être réalisée avec la contribution de tradi-praticiens reconnus, à la perspective théorique d’ensemble défini d’un commun accord par les chercheurs.
C’est un tel cadre qui pourrait ainsi analyser concrètement, selon des normes scientifiques, les effets d’ordre sociologique, anthropologique, physiologique, psychologique et relationnel des actes qui caractérisent les différents rituels et gestes liés à la pratique traditionnelle des soins ainsi que leurs conséquences positives ou négatives sur la personnalité considérée à partir de la représentation propre aux sociétés gabonaises.
Ce cadre pourrait plus concrètement contribuer à l’étude exhaustive de la danse, c’est à dire prendre en compte diverses dimensions : thérapeutique, artistique, sociologique, relationnelle, économique, religieuse, psychologique… afin de l’intégrer dans le cadre plus global du développement socio-économique national.
Ceci nous amène, dans le cadre précis de ce Séminaire, à dire qu’il convient de créer une structure plus vaste au sein de laquelle interviendrait respectivement le CICIBA, le Ministère de la Culture, le Ministère du Plan, le Ministère de la Santé, afin de susciter une politique nationale de la danse, qui introduirait l’homme africain dans la réalité subtile de l’univers et, par conséquent, contribuer à des niveaux différents au développement de notre pays.
8) Le sens de la danse « Mutuashi » dans le sacré congolais chez les Baluba
Dr. Hassan KABEYA
Secrétaire Général du Conseil Africain d'Actions Concertées (CAFAC) Libreville, Gabon
Permettez-moi de commencer mon propos sur une note de grands remerciements que j’adresse à Monsieur le Ministre de la Culture et aux organisateurs de ce séminaire, pour avoir bien choisi ce moment précis pour réunir la communauté culturelle internationale afin de débattre d’un vieux sujet qui traîne dans nos tiroirs depuis la nuit de temps.
Je voudrais vous parler de la danse, non pas en tant que spécialiste de la Scène ou des Arts du Spectacle, mais à travers la vision d'un rapporteur du vécu qui touche l'Anthropologie. J'ai donné à cette communication le Titre : « Le sens de la danse « Mutuashi » dans le sacré congolais chez les Baluba ». Je cherche par là à faire ressortir la place d'une structure fondamentale de la parole ou d’une tradition orale d'une société que nous pouvons appeler: « Civilisation de la parole » des Lubas du Kasaï au Congo- Kinshasa.
Dans cette « Civilisation de la parole », la structure fondamentale prend souvent diverses formes, soit la forme de contes, de fables, de devinettes, d'épopées, de chants, de musiques, de rites mais également de danses. Les Lubas de ce pays font partie de la Civilisation bantu, un monde qui rassemble aujourd'hui plus de 150 millions d'hommes, disséminés du Bak-El-Ghazal des franges soudanaises jusqu'aux rochers du Cap. Baigné par l'Atlantique à l'Ouest, l'Océan indien à l'Est, il se compose de peuples divers et multiples unis par des parentés de sang, de culture, par des religions, des philosophies communes, aussi bien que par leurs dons artistiques et leurs caractères métaphysiques.
L'exemple de la représentation orientée vers le public des danses Ngang chez les Fangs du Gabon nous est très utile dans ce cas. Etudiée en 1966 par Jacques Binet, professeur de l’art africaine à la Sorbonne, elle faisait intervenir une maîtresse de chœurs, chanteuse assise. Vêtue à l'instar des modes traditionnelles, elle essaie d'évoquer le passé : touffes de raphia ou de rubans aux biceps, plumes sur la tête, peaux de bêtes à la ceinture, plumes et rubans flotteurs selon la cadence. Les peuplades « Lubas » constituent donc un ensemble d'une masse cohérente et ancienne de l'univers Bantu, l'une des plus grandes entités humaines de l'Afrique.
En décrivant pour vous la danse Mutuashi, au moyen d’exemples, notre but principal est de donner la relation qui est à l'origine de celle-ci avec le sacré chez les Bantu du Congo- Kinshasa. Pour qu'enfin l'on puisse comprendre, même si cette danse est aujourd'hui passée de la tradition orale à la scène, qu'elle garde toujours pour les connaisseurs, un rituel qui se doit au respect quand on veut l'utiliser comme un langage sacré.
Le sens de la danse en Afrique
Peuple de la danse disait L.S. Senghor à juste titre, en Afrique. Cet Art est au carrefour de toute recherche artistique, selon Jacques Binet. D'après lui, la sculpture est dans la plupart des cas utilisée pour produire des masques de danse, la musique où dominent percussion et rythmes est là pour accompagner la danse, et la peinture orne les corps des danseurs.
Une réflexion plus poussée sur la danse africaine peut fournir des explications plus claires. Car, en tant qu’Art complexe, les Occidentaux du XXème Siècle, en ont oublié le caractère sacré pour retenir le plaisir des mouvements qui mobilisent et harmonisent les êtres dans une communion.
Cependant en Afrique, l'aspect spectaculaire et théâtral n'a jamais été prédominant dans les danses tout en étant présent par rapport à l'aspect sacré.
L'exemple de la représentation orientée vers le public des danses Ngang chez les Fangs du Gabon nous est très utile dans ce cas. Etudiée en 1966, par Jacques Binet, elle faisait intervenir une maîtresse de chœurs, chanteuse assise. Vêtue à l'instar des modes traditionnelles, elle essaie d'évoquer le passé : touffes biceps, plumes sur la tête, peaux de bêtes à la ceinture, plumes et rubans flotteurs selon la cadence.
Des sonnailles attachées aux genoux marquent le rythme avec le tambour Ngou. Les récitatifs sont composés de proverbes, de minces historiettes villageoises ; comme nous le savons, jadis, les histoires contées étaient mystérieuses. Une cosmogonie oubliée s'y révélait. On y voyait alors Dieu (ou l'Ancêtre) recréant ses filles avec le sang des bêtes.
En prenant l'exemple d'un ballet spectaculaire, comme la danse Akwa, chez les fangs, nous pouvons valoriser le sens du Spectacle dans certaines danses en Afrique. L'akwa, est de création récente disent les fondateurs. (Pourtant ce nom signifierait la « Forge » où Dieu a créé l'homme). Elle vient d'un rêve fait par deux frères en 1959. L'un a eu la révélation de la musique, l'autre celle des chants et de la chorégraphie. Après consultation, ils organisèrent une tragédie de danse comprenant un corps de ballet de 7 personnes en tenue de sport, culotte de foot, chemisettes à liserés. Deux rondes concentriques tournent en sens contraire. Puis elles se rompent et deux filles se séparent, s'éloignent se rapprochent, les femmes font tournoyer un foulard qu'elles vont une par une porter au garçon de leur choix. Ceux-ci retournent la politesse, aux mêmes et à d'autres. Les hommes prennent des positions qui évoquent la gymnastique : marche accroupie, bras dessus-bras dessous, courbés, se tenant en un bloc.
Un « commissaire » est là pour activer les danseurs, pour contrôler la justesse de leurs mouvements et pour veiller au règlement, politesse, propreté, discipline. De temps en temps une choriste se détache du groupe et vient saluer les autorités. Des chants amoureux accompagnent la transmission du foulard et les incursions des hommes vers les femmes.
Dans la diversité des éléments constitutifs de ce ballet, nous retrouvons le sens spectaculaire de la danse en Afrique : les déclarations amoureuses et la magie, mélangées avec le sens de l'organisation
Les danses africaines, du même auteur déjà cité, suggèrent un érotisme qui révèle des hymnes à la joie et libres des censures, des tambours comme c'est le cas chez les Yaka du Congo et du Gabon avec les danses et les chansons des jumeaux. D'autres danses remettent en scène, avec leur pas guerriers et les chansons viriles, déclamées, les gloires des peuples qui ont combattu pour la libération de leurs communautés, comme dans les chansons Zoulous et Kossa.
La danse en Afrique devient alors langage et emportement qui peuvent être compris comme des manifestations fantasmatiques de sublimation, de perfection ou du sacré. C'est donc une science infuse où le corps réagit à tel son ou a telle musique particulaire. Elle est plus que théâtre dans un sens sacré.
Danse « Mutuashi » et le sacré Luba
Chez les peuples Luba du Congo Kinshasa que nous avons choisi, on danse pour les activités économiques, on danse pour l'amour et aussi pour la mort. Il 'a des danses que l'on appelle profanes, profane dans le sens ou le sacré a déjà perdu de sa force; effectivement lorsque le sacré devient obsolète, on tombe dans le profane.
D'autre part celle qui nous intéresse ici, Mutuashi et que j'appellerai danse sacrée, vient du sud-est du Congo Kinshasa, plus précisément du Kasai oriental. Elle permet le contact entre l'homme et sa conscience ou l'homme et le cosmos, selon qu'il s'agit de la réjouissance ou du sacré. Elle devient alors pour le peuple Luba danse thérapeutique et l'initiation dans certain cas ou spectacles de réjouissances dans d'autres dans le premier cas, elle renvoie à un rapport cosmo-humain. Au niveau de cette danse sacrée, Mutuashi, intervient la tenue et le corps. Car, la préparation du danseur c'est ce qu'il va porter ou bien ce qu'il ne va pas porter, parce que chez les Balubas, l’absence de tenue est déjà une tenue de danse, dans des situations particulières. Cette pratique existe en bien d'autres lieux comme la Bible le dit du roi David, qui, en extase, dansait nu devant ses serviteurs.
En prenant le Mutuashi comme des jumeaux elle est complètement sacrée. Car elle est constituée d'une cérémonie, comprenant une tenue appropriée et un rituel. Elle s'opère au moment de la présentation des enfants jumeaux au public. A cette occasion, le papa des jumeaux, ou Shambuyi en langue Tshiluba et la maman de jumeaux ou Muambuyi dans la même langue, sont nus et, n’ont droit qu'a un petit morceau d'animal, en général (léopard) comme cache-sexe avec une ceinture en herbe qui entoure la hanche plus deux bâtons de bambous de chine portés autour de la hanche de chaque côté. L'autre aspect de la tenue est que, de façon générale dans cette danse et dans ce cas précis, le corps des acteurs non concernés par la naissance des jumeaux est vêtu de vêtements qui sont faits de raphia avec un maquillage composé de fards, huiles, onguents, poudres ...
Et aux sons tambours et chansons, les deux parents de jumeaux vont exhiber les gestes de tours de reins, dans le but mouvement érotique qui a amené l'homme à fouiller dans la matrice de la femme où seraient cachées les ovules qui ont la même ressemblance que Dieu leur a réservée. A ces tours de reins de l'homme, la femme doit répondre de la même manière en cherchant à dépasser son coéquipier l'image de montrer pour l'homme « qu'il est fait l'image de Dieu », et pour la femme comme pour dire que « ce que femme veut Dieu le veut ».
Le caractère sacré et mythique de cette danse ressort dans le fait que toutes ces gestuelles symbolisent l'amour indéfectible qui existe entre le couple avant la naissance des jumeaux, la protection de la virilité des enfants et la prévention des mauvais sorts de tous genres de la part des jaloux.
9) Le geste dans les danses de guérison d’aujourd’hui
M. Cyrille Meye M’Eyi
Etudiant en Sciences des Religions
1. Les danses de guérison
Dans son acceptation la plus générale, les danses de guérisons sont l'art de mouvoir le corps humain selon un certain accord entre l'espace et le temps, accord rendu perceptible grâce au rythme et à la composition chorégraphique. Qu'elle soit spontanée ou organisée la danse de guérison est souvent l'expression d'une situation donnée et peut éventuellement s'accompagner d'une mimique destinée à la rendre plus intelligible.
Répondant à une aspiration inhérente à l'homme, la danse de guérison obéit à une impulsion irrésistible et satisfait tant le sens artistique que l'exaltation nerveuse ou musculaire. Elle a pour instrument parfois exclusif le corps qui engendre sa propre rythmique, si elle n'accède à un degré satisfaisant d'élaboration que grâce à l'homo ludens.
La danse de guérison ne satisfait pas seulement les exigences physiques ou esthétiques. Elle n'a cessé depuis les origines les plus obscures de jouer un rôle important dans la vie religieuse de l'humanité. Elle est en effet un moyen privilégié d'entraîner l'homme hors des limites que lui impose la conscience de la réalité quotidienne.
Cette sorte de gymnastique mystique permet de communier avec la nature, avec le rythme auquel est soumis l'univers.
Il existe plusieurs types de danses de guérison, car les moyens employés comme les buts recherchés diffèrent selon les communautés. Toutefois on peut observer des constantes, par exemple les mouvements répétés qui, obstinément tendent à provoquer au moyen d'un automatisme musculaire, une sorte d'inconscience. On ne peut à l'origine distinguer danses religieuses et danses profanes. La danse est génératrice d’extase, imprégnée d'un caractère magique, Cette action hypnotique des rythmes, conjuguée avec certaines évolutions stéréotypées
· provoque des états psychophysiologiques qui peuvent suggérer à l'extrême limite de l'excitation nerveuse., la « possession » ,
· et aboutit souvent à une éclipse plus ou moins prolongée de la vie consciente.
De par leurs chorégraphies cérémonielles (gestes), les danses de guérisons peuvent être ramenées à trois types principaux sans qu'intervienne une antériorité quelconque.
2. Le geste dans les danses de guérison
L’ivresse choréique
L’ivresse choréique relève essentiellement de la frénésie rythmique. Elle consiste en trépignements, déhanchements, balancements et tournoiements, génuflexions, torsions du buste et de la tête au moyen desquels les danseurs peuvent accéder au monde surnaturel. C’est ainsi que ces derniers sont censés prendre contact avec les génies susceptibles de leur livrer des connaissances sur une maladie ou sur un remède.
En Afrique, les Haoussas du Soudan ou les Songhaïs du Niger entrent en relation avec les esprits que viennent d'évoquer les tambours sacrés. L'érotisme se donne souvent libre cours dans ces sortes d'ivresses choréiques. Les extases pratiquées par les Ménades et les Satyres dans l'Oribase, ont pu être utilisées à titre thérapeutique afin de guérir certains troubles. Actuellement encore, des psychiatres au Brésil notamment, tentent de les employer afin de guérir les maladies mentales.
Initiés au rituel, les célébrants revêtus de costumes, voir de masques consacrés, exécutent des évolutions rythmées. Les confréries de danseurs jouent notamment un rôle essentiel dans les rites funéraires. Toutefois, le danseur africain se caractérise par une intuition extravertie ou imitative. Qu’il s’élance ou bondisse, chaque attitude, chaque geste y revêt une signification précise. A l'aide d'un nombre considérable de poses qui commandent non seulement bras, mains, jambes, mais aussi cou, yeux, sourcils, front, le danseur parvient à exprimer les êtres, les animaux, les fleuves, les vents, le feu, les dieux et les astres. La pratique de ce vocabulaire mimique suppose une virtuosité, une souplesse et un contrôle incessants de tous les muscles, les jambes ainsi déployées se détachent rarement du sol que martèlent les pieds. Toute l'orchestration se développe en dedans. La stylisation s'ajoute à la combinaison. Fruit d'une culture introvertie, cette évocation de la réalité s'exprime uniquement par 1’abstraction.
3. Le geste et toute sa signification
Ces différents systèmes de communications, d'échanges ou de régulation des rapports entre les dieux et les hommes, utilisent un registre de gestes rituels qui sont difficiles à isoler, tant il est vrai que la place leur est accordée à l'intérieur de chaque système et les divers enchaînements auxquels ils se prêtent, peuvent en modifier la forme et le sens, à l'exemple du sacrifice et de la prière qui le plus souvent interviennent dans les rituels de guérisons. La logique sacrificielle présente les voies alternatives que l'on rencontre en Afrique Ce qui différencie ces deux derniers est le système de mise à mort de l'animal, de ce sang qu'il faut faire couler afin que les esprits reçoivent leur part dans le repas auquel toute la communauté est conviée, par exemple, en choisissant comme animal sacrifié « le pangolin » ou « le fourmilier à écailles », animal par excellence puisqu'il contredit toutes les catégories animales courantes par son ambiguïté.
La danse est célébration, la danse est langage
· langage en deçà de la parole: les danses nuptiales des oiseaux le montrent ; · langage au-delà de la parole: là où ne suffisent plus les mots, surgit la danse. Quelle est cette fièvre, capable de saisir et d'agiter jusqu'à la frénésie toute créature ? Sinon la manifestation souvent explosive de l'instinct de vie, qui n'aspire qu'à rejeter toute la dualité du temporel pour retrouver d'un bond l'unité première où corps et âme, créateur et création visible et invisible se retrouvent et se soudent hors du temps, en une unique extase.
La danse clame et célèbre l'identification à l'impérissable
Telles sont toutes les danses principielles, toutes les danses qui se qualifient de sacrées. Mais telles sont aussi dans la vie dite « profane », toutes les danses populaires ou savantes, élaborées ou improvisées, individuelles ou collectives qui peu ou prou recherchent une libération dans l'extase, que celle-ci se limite au corps ou qu'elle soit plus sublimée, dans la mesure où l'on veut bien admettre qu'il y a des degrés, des façons et des mesures d'extases.
L'ordonnance de la danse, de son rythme, représente l'échelle par laquelle s'accomplit la libération, à l’exemple de l'Afrique, patrie des « orisha et du vaudou », jusque dans les danses les plus libres de notre temps, où l'homme exprime par la danse, le même besoin d'affranchissement du périssable. Les nombreuses danses rituelles cherchent à fortifier et à conduire l'âme sur l'invisible sentier qui mène du périssable à l'impérissable.
Car si la danse est épreuve fervente et théâtre, elle est aussi Prière On pourrait en citer mille exemples : les danses de possession montrent que ce théâtre essentiellement symboliste, possède aussi des vertus curatives, et telle est sans doute la raison pour laquelle la médecine découvre ou redécouvre une thérapeutique de la danse que les cultures dites « animistes » ont toujours appliqué.
Elles impliquent de la part des exécutants, des dons d'acteurs. Elles supposent généralement, le port de déguisements, de masques ou tatouages, d'accessoires évocateurs. Grâce aux gestes imitatifs, les danseurs croient capter une force et l'asservir. En concentrant leurs énergies, ils veulent avant tout figurer les événements désirés afin de les susciter.
Le rôle de l'autosuggestion préalable suppose une exaltation plus ou moins violente qui conduit de la simulation consciente à la simulation inconsciente. Ces danses incitatives s'inspirent d'abord du cycle de vie humaine, souvent les comportements d'animaux auxquels la collectivité se croit liée et des phénomènes naturels que l'on va soit provoquer, soit écarter.
Les premières sont essentiellement des danses de fécondités pour soigner les femmes ayant des complications gynécologiques et sont moins fertiles. Souvent phalliques et lascives, elles mettent l'accent sur la sexualité, la propagation de la vie. Certaines danses magiques s’appliquent à imiter des animaux auxquels les danseurs se sentent liés par des affinités mystérieuses.
Elles peuvent avoir un caractère totémique, leurs exécutants cherchant à s'identifier avec l'animal-type dans lequel ils voient l'origine de leur clan : ils auront recourt à son assistance dans les cérémonies de guérisons collectives du clan.
4. Les danses sacrées
Plus intéressantes sont les danses qui cherchent à créer une communication mystique entre l'homme et la nature. Le danseur doit faire ici un effort plus subtil d'observation et d'interprétation quand il veut évoquer ou enter en contact avec les éléments. Ainsi atteint-on le stade le plus élaboré des danses religieuses qui substitue à l’imitation naïve une partie symbolique ou mystique et suppose l'adoption de conventions.
· Les « Tété du Kasaï » cherchent à jeter un pont sur la distance qui s'agrandit dangereusement entre les hommes et les dieux. L'artifice rituel consiste en l'absorption alimentaire d'un être médiateur (pangolin) au sein duquel un rapport de contiguïté s'établit entre le ciel et la terre. Le geste unit les contraires et de cette union, se dégage un pouvoir bénéfique.
· A l'opposé, les « Nuer du Soudan » utilisent le sacrifice pour mettre fin à la confusion dangereuse du profane et du sacré, source de désordre et de maladie. La consécration de l'animal (notamment par le frottement de cendre sur son dos ), qui est ici un animal domestique (bœuf, poule ou cabri ) appartenant au sacrificateur,- est donc déjà une partie mondaine de lui-même, vise d'abord à marquer l'identification du sacrificateur à l'animal sacrifié et souvent par ce biais, au destinataire lui-même ( esprit, génie, dieux ). Cette fusion mystique entre le donneur, sa victime et son dieu . ne fait que préparer la séparation violente entre 1"homme et l'esprit qui l'habite, assurée par la mise à mort et l'écoulement du sang. · Chez les « Thongu du Mozambique », le malade se précipite sur la blessure de l'animal sacrifié, en suce le sang avec avidité pour aussitôt le recracher et expulser l'esprit. Cet acte de séparation, qui pendant la danse, est toujours une forme d'automutilation ou de sacrifice de soi, libère la victime et le sacrificateur d'une confusion dangereuse et permet ainsi de retrouver la bonne distance entre les hommes et les dieux.
Le geste du repas sacrifié repose sur un partage qui non seulement recoupe les divisions sexuelles et sociales du groupe, mais distingue nettement la part des dieux et la part des hommes
« Dieu prend le yegh, disent les Nuer, c'est à dire la vie, l'homme prend le rivg, la viande ». Chez les Thonga, le geste est finalement un rituel d'exorcisme qui vise à remédier aux troubles du malade, interprétés comme effets destructeurs de la présence d'une puissance hostile, dangereuse et étrangère au groupe,, dans le corps du sujet.
L'esprit maléfique est transféré par les gestes, du corps du malade au corps de l'animal. L'accumulation des gestes concernant la guérison, illustre la façon dont les sociétés africaines cherchent à maintenir l'équilibre précaire, de maîtriser et de l'informer que l'événement du geste peut rompre brutalement.
C'est dans les rites des danses de guérisons que s'affirme l'efficacité de cette logique du symbolisme en Afrique où la danse plus que partout ailleurs au monde, extraversion, elle est la forme la plus dramatique de l'expression culturelle, car elle est la seule où l'homme en tant que refus du déterminisme de la nature, se veut non plus seulement liberté, mais « libération de ses limites ». C'est pourquoi la danse est la seule expression mystique de la religion africaine.