9. Colloque International Thème 2 : COMMUNICATION DE MADAME A. DARKOWSKA NIDZGORSKI (FRANCE) INGENIEUR DE RECHERCHES, CENTRE D'ETUDES AFRICAINES E.H.S.S.- PARIS
THEME 2 SUITE :
"DANSE, THEATRE OU MUSIQUE : LES ARTS ASSOCIES"
COMMUNICATION DE MADAME A. DARKOWSKA NIDZGORSKI (FRANCE) INGENIEUR DE RECHERCHES, CENTRE D'ETUDES AFRICAINES E.H.S.S.- PARIS
"Mesdames et Messieurs, comme le thème l'indique, je ne parlerai pas uniquement de la Danse mais d'un domaine qui touche de très près et comprend la danse: c'est le théâtre de marionnettes qui est une forme extrêmement riche aussi bien sur les plans plastique, musical que rythmique.
Je voudrais dire qu'il existe un lien très archaïque entre marionnette et comédien en chair et en os, la marionnette et la danse, la marionnette et le masque. Longtemps les chercheurs se sont posés la question de savoir qui était le premier, des masques, des marionnettes ou des hommes.
Je pense que nous pouvons conclure aujourd'hui sans difficulté que tous ces phénomènes sont apparus en même temps.
En effet, on peut voir sur les gravures rupestres: les danseurs à visage découvert, les marionnettes (marotte) et enfin, les hommes masqués. Ces trois éléments se côtoient sur les gravures rupestres.
D'autres liens existent entre la marionnette et la danse comme par exemple dans les tombeaux de danseurs dans l'Egypte Antique où l'on retrouve des théâtres de marionnettes à fil.
Quant à l'Afrique, plusieurs chercheurs ont décrit les réjouissances de toutes sortes, même sacrées, où à côté de la danse, de la musique, du théâtre et des masques, on trouve aussi des marionnettes; ce sont donc des traces historiques de ce' phénomène en Afrique.
Mais il y a une source beaucoup plus profonde de la marionnette africaine: ce sont les mythes.
Par exemple au Nigeria, on pense que la marionnette vient du pays des morts, où un vivant serait descendu dans le pays souterrain de la mort ; il y aurait vu un spectacle de marionnettes qui était le passe-temps favori des morts et, une fois revenu parmi les vivants, il enseigna l'Art de la marionnette, et en mourut.
On constate donc cet aspect de sacrifice humain lors de l'apprentissage de cet art par l'humanité.
Chez les Bambaras, on parle d'un pêcheur Bozo enlevé par les génies de la brousse qui lui avaient appris l'Art de la marionnette. Revenu parmi les siens, le pêcheur s'est rendu chez un sculpteur à qui il demanda de sculpter d'un côté les marionnettes animaux, de l'autre les hommes.
Une autre version vient d'Afrique centrale, précisément du Congo, où il y est dit que la marionnette serait le cadeau d'une femme à un Chef: une inconnue est arrivée un jour chez un Chef et elle lui a tendu une marotte en bois "je te donne cette chose, ne le dis pas aux femmes".
Donc, d'une part, c'est une femme qui trahit le secret des femmes et, d'autre part, c'est l'homme qui, recevant ce secret, commence à le garder très jalousement, car ce type d'objet, comme vous le savez, est interdit à la femme en dehors des spectacles autorisés.
En effet, voir une marionnette en dehors de son jeu, signifie pour elle la stérilité, une maladie de la peau ou même la mort.
Jusqu'à présent cet interdit est très respecté; j'ai connu personnellement le cas d'une femme qui est morte après avoir vu une marionnette en dehors de son jeu, et, même si l'action psychologique a été forte, la personne est quand même décédée.
Un autre aspect de l'origine du mythe et du conte chez la marionnette se retrouve là où la statue devient vivante, mais ensuite retourne à son état premier d'argile, de bois, comme c'est le cas de Pinocchio en Italie.
Tout cela fait que la marionnette est très présente dans la recherche théâtrale jusqu'à présent.
Dans l'antiquité, nous avons l'exemple des fils de la marionnette qui étaient appelés muscles.
Actuellement, le metteur en scène d'avant garde J. GROTOWSKI aborde souvent dans ses cours la problématique de la marionnette et du corps.
A simple titre de curiosité, je relève que nous avons affaire aujourd'hui de plus en plus souvent à une marionnette de synthèse, ce qu'on appelle la marionnette virtuelle qui est créée et contrôlée par les ordinateurs.
En effet, on montre en Europe, dans de grandes manifestations tel Imagina, des marionnettes créées de toute pièce artificiellement qui apparaissent sur un écran, ou qui sont manipulées à partir d'ordinateurs qui les contrôlent entièrement.
Même si cela est intéressant, je trouve personnellement beaucoup plus attirant des formules que l'on retrouve dans certaines sociétés africaines comme celle dont je vais vous parler et qui représente pour moi comme une sorte de défi aux techniques dîtes modernes.
Il s'agit des Masques GUELEDE de Yorouba au Nigeria. Nous avons là des danseurs masqués, masques aux visages humains, sur lesquels se trouvent des petites plates-formes où se produisent des marionnettes. Ce sont des marionnettes simples comme un oiseau qui picore, une femme qui verse de l'eau ou un colon qui promène son chien.
C'est donc toujours le même geste qui est fait à partir d'une ficelle maniée par le danseur. Ce danseur anime son masque, et en même temps tire la ficelle qui fait bouger les marionnettes.
Dans une même configuration rythmique, plusieurs formes de mouvement se complètent et se manifestent à diverses échelles de l'espace et du temps.
La dynamique Guelredé est une complexité très rare dans le monde de l'animation qui a été étudiée d'une manière approfondie par Sally Jane NORMAN.
Dans l'état actuel de nos connaissances, on ne peut plus voir la marionnette comme une sorte d'opposition entre la matière inerte (les matériaux) et la matière vivante (l'homme ).
A travers les civilisations, les hommes ont toujours utilisé leur corps comme une marionnette. A ce sujet, je vous donne l'exemple du marionnettiste russe, aujourd'hui décédé, OBRAZTSOF qui utilisait ses propres membres comme marionnettes, ses doigts, sa tête... Il accordait une autonomie expressive à ces différentes parties de son corps qui s'animaient alors de leur propre vie.
La même chose existe dans les sociétés africaines. Je vais vous citer un cas qui concerne un rituel initiatique avec son aspect de mise à mort symbolique des initiés, étudié par André SCHAEFFNER, ethnomusicologue français, à qui je me réfère : "Dans le rituel d'initiation, les jeunes gens prennent souvent l'aspect des morts ou plus exactement des revenants. Ils reviennent parmi les vivants après un séjour dans un lieu secret où ils sont sensés avoir été mis à mort, puis avoir reçu une seconde naissance.
Ici dans la forêt guinéenne, comme chez d'autres populations d'Afrique, leur c orps est complètement blanchi et ces fantômes agissent tels des automates, des marionnettes. Leur démarche, leur moindre geste sont mécaniques; entièrement commandés par des formules tambourinées que frappent les Maîtres du rituel.
Là également, malgré la gravité de la cérémonie, satyre et bouffonnerie trouvent place ; mais l'hostilité se traduit, les marionnettes se détachent du cadre, et menaçantes, s'approchent des spectateurs qui reculent".
Cela m'amène vers le phénomène de la mort tout court, ou plutôt vers ce passage qui existe entre la vie et la mort où l'homme se quitte; son enveloppe charnelle reste et les vivants essayent de la faire revivre.
Ici, je dirais que le "marionnettiste" se situe entre cet espace qui va de la vie à la mort, et je voudrais citer quelques exemples dans ce domaine dont l'Afrique abonde. Vous avez d'abord l'exemple de ce que j'appelle "cadavre animé" : on trouve au Gabon des porteurs qui sont cachés par des raphias et qui portent sur leurs têtes un cadavre; celui-ci semble vivant car il bouge grâce à de ces hommes qui sont sous lui et qui parlent et vivent à sa place.
Deuxième exemple: le cadavre peut être maquillé, mis dans une position qui le fait sembler vivant, placé dans un lieu central et entouré de danseurs, comme en Centrafrique, autour duquel on effectue de grandes réjouissances, et lui-même y participe d'une certaine manière.
Il y a aussi l'exemple de manipulation du cadavre plus perfectionné, au Cameroun, où on brise ses articulations pour pouvoir bien le faire danser.
Vous avez encore une autre technique qui consiste à transformer le cadavre en grand mannequin; en général, pour des Chefs de renom: on fait un certain nombre de pratiques sur le corps, on le dessèche, on l'enveloppe de mètres et de mètres de tissus. Il devient alors un grand mannequin de deux ou trois mètres de hauteur avec un visage très réaliste. Il est alors porté par quatre porteurs, et danse à son propre enterrement pour enfin "sauter lui-même" dans sa tombe.
Vous avez enfin un cas qui peut intéresser ceux qui travaillent avec leur corps, comme par exemple les danseurs.
Dans certaines sociétés au Zaïre, quand on sent la mort d'une personne importante venir, on prépare quelqu'un d'autre qui doit le remplacer. On le prépare même dans le sens physique en l'obligeant à prendre certains aspects physiques de celui qui va mourir; c'est donc un double parfait qui est préparé et qui va vivre normalef11ent dans la société après la mort du personnage. Il imite, on peut même dire qu'il incarne cette personne qui vient de décéder.
On peut dire à travers ces exemples que le marionnettiste apparaît comme une sorte d'intermédiaire entre l'au-delà et ici bas.
Voici maintenant quelques mots sur les marionnettes danseuses' En effet, beaucoup de marionnettes accompagnent les danseurs et les musiciens dans les pays d'Afrique, et il est fréquent de voir des musiciens danseurs qui se baladent dans les rues avec un instrument auquel ils accrochent une marionnette qui bouge au gré de leurs mouvements.
Il y a aussi le cas des marionnettes de danseurs : plusieurs danseurs possèdent des marionnettes qu'ils animent directement attachées à leur corps provoquant un effet plastique mais aussi magique.
vais vous parler et qui représente pour moi comme une sorte de défi aux techniques dîtes modernes. Il s'agit des Masques GUELEDE de Yorouba au Nigeria. Nous avons là des danseurs masqués, masques aux visages humains, sur lesquels se trouvent des petites plates-formes où se produisent des marionnettes. Ce sont des marionnettes simples comme un oiseau qui picore, une femme qui verse de l'eau ou un colon qui promène son chien.
C'est donc toujours le même geste qui est fait à partir d'une ficelle maniée par le danseur. Ce danseur anime son masque, et en même temps tire la ficelle qui fait bouger les marionnettes.
Dans une même configuration rythmique, plusieurs formes de mouvement se complètent et se manifestent à diverses échelles de l'espace et du temps.
La dynamique Guelredé est une complexité très rare dans le monde de l'animation qui a été étudiée d'une manière approfondie par Sally Jane NORMAN.
Dans l'état actuel de nos connaissances, on ne peut plus voir la marionnette comme une sorte d'opposition entre la matière inerte (les matériaux) et la matière vivante (l'homme).
A travers les civilisations, les hommes ont toujours utilisé leur corps comme une marionnette. A ce sujet, je vous donne l'exemple du marionnettiste russe, aujourd'hui décédé, OBRAZTSOF qui utilisait ses propres membres comme marionnettes, ses doigts, sa tête... Il accordait une autonomie expressive à ces différentes parties de son corps qui s'animaient alors de leur propre vie.
La même chose existe dans les sociétés africaines. Je vais vous citer un cas qui concerne un rituel initiatique avec son aspect de mise à mort symbolique des initiés, étudié par André SCHAEFFNER, ethnomusicologue français, à qui je me réfère : "Dans le rituel d'initiation, les jeunes gens prennent souvent l'aspect des morts ou plus exactement des revenants. Ils reviennent parmi les vivants après un séjour dans un lieu secret où ils sont sensés avoir été mis à mort, puis avoir reçu une seconde naissance.
Ici dans la forêt guinéenne, comme chez d'autres populations d'Afrique, leur corps est complètement blanchi et ces fantômes agissent tels des automates, des marionnettes. Leur démarche, leur moindre geste sont mécaniques; entièrement commandés par des formules tambourinées que frappent les Maîtres du rituel.
Là également, malgré la gravité de la cérémonie, satyre et bouffonnerie trouvent place ; mais l'hostilité se traduit, les marionnettes se détachent du cadre, et menaçantes, s'approchent des spectateurs qui reculent".
D'autres les placent sur leur dos, et évoluent de manière à ce que l'on voit d'un côté le danseur et de l'autre la marionnette qui prend part à la danse.
Il y a encore des marionnettes qui sont la propriété d'institutions de danse comme en Afrique de l'Est et de l'Ouest. Ce sont des marionnettes qui appartiennent aux danseurs et qu'ils peuvent animer eux-mêmes ou bien prêter aux villageois pour leurs fêtes.
Enfin, il y a des marionnettes qui sont des portraits de danseurs, sortes d'hommage que la marionnette rend à son interprète.
Je voudrais aussi rappeler que beaucoup de spectacles de marionnettes recèlent des danses très anciennes qu'elles reproduisent très fidèlement. Je considère donc que le théâtre de marionnettes est aussi une sorte de conservatoire de la danse car on y retrouve des danses qui ne sont déjà plus pratiquées.
La morphologie de la marionnette africaine est différente de celle de l'Occident. Le bassin est plus mobile, il suffit de l'animer pour qu'elle commence à danser comme un mouvement rattrapé au vol.
Le dernier exemple que je vous donnerai concerne un spectacle Haoussa où, après la quatrième scène du spectacle, le marionnettiste sort de sa petite tente, suivi de ses accompagnateurs, pour entamer une danse qu'ils font dans un cercle, mouvements très anciens, sorte de rituel. C'est comme un appel magique vers le monde de la marionnette. Je vous rappelle que cette forme de cercle est un espace sacré au centre duquel la personne qui s'y trouve est un prêtre: ici c'est le marionnettiste justement dans ses fonctions d'intermédiaire entre l'au-delà et ici-bas.
En conclusion, et puisque le thème que nous traitons est: "de la tradition orale à la scène", je voudrais signaler que tout l'Art de la marionnette est transmis jusqu'à maintenant oralement en Afrique; même si certains peuvent noter chez eux une pièce, le vrai apprentissage se fait toujours à partir de texte oral.