5. Colloque International Thème 1 : COMMUNICATION DE MONSIEUR JACQUES BINET (FRANCE)
THEME 1 SUITE
TRADITION ORALE COMME SOURCE DE
COMMUNICATION DE MONSIEUR JACQUES BINET (FRANCE)
PROFESSEUR D'HISTOIRE DE L'ART AFRICAIN A
Peuple de
La sculpture est dans la plus part des cas utilisée pour produire des masques de danses; la musique où dominent percussions et rythmes est là pour accompagner la danse; la peinture, si l'on veut classer ainsi les marques corporelles, orne les corps des danseurs.
Et pourtant, en faisant un inventaire de la peinture africaine, on s'aperçoit que le nombre de tableaux consacrés à la danse est faible ( 5 ou 6 après examen de plus de 100 images).
Or, quand on connaît les danses pittoresques de masques qui ont lieu lors des fêtes, défilés ou ballets, on se demande pourquoi cette part du patrimoine artistique est-elle négligée par les peintres.
Peut être y a t il une explication dans l'extrême retenue qui caractérise les élites africaines... Dans les milieux musulmans, en particulier, il serait de "mauvais genre" de s'exhiber.
Une réflexion plus poussée sur la danse africaine peut fournir des explications plus claires. La danse est un art complexe.
Nous, Occidentaux du XXème siècle, en avons oublié le caractère sacré pour retenir le plaisir des mouvements qui mobilisent et harmonisent les êtres dans une communion.
L'aspect spectaculaire et théâtral n'est pas prédominant dans les danses africaines, mais il est présent.
Les danses Ngan chez les Fangs du Gabon fournissent un exemple de représentation orientée vers le public. Etudiée en 1966, elle faisait intervenir une maîtresse de chœurs, chanteuse assise.
Vêtue à l'instar des modes traditionnelles, elle essaie d'évoquer le passé. Touffes de raphia ou de rubans aux biceps, plumes sur la tête, peaux de bêtes à la ceinture, plumes et rubans flotteurs selon la cadence.
Des sonnailles attachées aux genoux marquent le rythme avec le tambour Ngou. Les récitatifs sont composés de proverbes, de minces historiettes villageoises. Jadis, les histoires contées étaient mystérieuses. Une cosmogonie oubliée s'y révélait.
On y voyait Dieu (ou l'Ancêtre) recréant ses filles avec le sang des bêtes... Aujourd'hui, une histoire assez simpliste d'adultère avec des marionnettes vient tenir ce rôle. .
La troupe - chanteuse, chœur et musiciens - se déplace en contre partie d'une rémunération pour animer des soirées villageoises.
Les créateurs de la danse Eko de Gaulle ont aussi voulu monter une représentation, tout en faisant danser les villageois. Les membres de l'association arrivent dans la journée et disposent les lieux: cour balayée, tonnelles de feuillages; et délimitent soigneusement une "parcelle" où l'on dansera sur les indications d'un "aboyeur".
Les dignitaires du ballet se mettent en tenue. Le "De Gaulle" choisi pour sa taille porte un képi (ou une chéchia), et une canne où sont insérés les "médicaments" de la danse - des morceaux d'ossements humains.
Un docteur ou infirmier porte une blouse blanche avec une croix rouge et une boite de médicaments. Il vérifie la propreté et aura à soigner d'éventuels malades...
Un "commissaire de police" ou "ministre de l'intérieur " fait régner un ordre que nul ne songe à troubler; un "ministre des finances" ou "douanier" fait payer les entrées.
La danse est organisée par de pseudo militaires qui associent les couples, après deux rondes initiales où hommes et femmes tournent en sens contraire.
A l'arrivée du général, tout le monde se précipite. Le "De Gaulle" serre des mains, félicite le public. Si quelque ivrogne se fait remarquer, la "gendarmerie nationale" l'appréhende. Des amendes sont perçues si quelqu'un empiète sur la parcelle réservée aux officiels!
Les chants sont un mélange de chants d'amour et de couplets politiques.
Mise en scène de l'histoire, sociodrame où l'on réfléchit au rôle des gouvernants, esquisse d'une organisation qui s'amenuise depuis 300 ans par les migrations et dont les Fangs ont gardé la nostalgie, la compagnie de danse est tout cela. Spectacle aussi et spectacle payant: le notable qui fait venir le groupe doit le payer.
Le masque Kidumu des Téké (Congo) serait également le symbole et l'instrument d'une organisation purement théâtrale. Sa face plate et ronde, parfaitement symétrique, représenterait un visage.
L'accumulation des éléments de magie vont attirer la chance sur le spectacle : lune et étoiles pour que le public puisse venir, termites pour qu'il soit nombreux comme les termites à leur envol, python pour que le danseur soit souple, crocodile pour assurer la protection des ancêtres... tous ces éléments ne sont pas fixés mais utilisés selon le goût du "maître de ballet".
La danse Akwa va nous fournir l'exemple d'un ballet spectaculaire. Elle est de création récente disent ses fondateurs. (et pourtant, ce nom ne signifie t'il pas la "forge" où Dieu a créé l'homme?).
A la suite d'un rêve en 1959, deux frères ont eu, l'un la révélation de la musique, l'autre celle des chants' et de la chorégraphie. Après s'être consultés, ils organisèrent méthodiquement cette tragédie de danse.
Le "corps de ballet" comprend 7 garçons en tenue de sport, culottes de foot, chemisettes à liserés, bas aux couleurs nationales; 12 femmes sont vêtues de blouses et de jupes blanches aux mêmes liserés.
Deux rondes concentriques tournent en sens contraires. Puis elles se rompent et deux files se séparent, s'éloignent, se rapprochent. Les femmes font tournoyer un foulard qu'elles vont une par une porter au garçon de leur choix. Ceux ci retournent la politesse, aux mêmes ou à d'autres. Les hommes prennent des positions qui évoquent la gymnastique: marche accroupie, bras dessus bras dessous, courbés, se tenant la main, serrés se tenant en un bloc.
Un "commissaire" est là pour activer les danseurs, pour contrôler I~ justesse de leurs mouvements et pour veiller au règlement, politesse, propreté, discipline. De temps en temps une choriste se détache du groupe et vient saluer les autorités.
La présence d'une structure administrative lourde et visible est probablement caractéristique des Fangs. Entremêlés aux chants politiques louant le président ou déplorant son absence, des chants amoureux accompagnent la transmission du foulard, les incursions des hommes vers les femmes...
Il faut souligner la diversité des éléments constitutifs de ce ballet. "Le spectacle, sa finalité économique, les aspects patriotiques, les déclarations amoureuses, la magie se mélangent avec le sens de l'organisation.
Certaines danses sont positivement religieuses. Dans le Gabon des années 60, les femmes de l'Ekwan Maria (confréries de Marie) chantaient des cantiques tout en dansant une ronde. L'église catholique a vu ce mouvement naître au Cameroun vers 1954. Le supérieur de la mission catholique de Sangmepima était prié de dire une messe dans un village pour célébrer une réunion féminine, chants tirés de l'évangile, récitation du rosaire et de ses mystères, tout cela était très orthodoxe.
L'Ekwan étendait son action. Une fête s'organisait. Les villageois préparaient un repas pour leurs hôtes; la compagnie diffusait son message et aidait à mettre sur pied une filiale: messe, prédication... l'aspect religieux était toujours essentiel. Il semble que cette danse à solide connotation religieuse soit exempte de magie, de "médicament", de fétiche. Il serait paradoxal qu'il en soit autrement.
D'autres danses modernistes, à visées politiques semblent également étrangères aux médicaments. Dans un désir d'inculturation, les catholiques (et probablement aussi les protestants) ont essayé d'adapter la liturgie: procession d'entrée, offrandes amenées solennellement. Des chants et des instruments de musique ont été reçus dans le sanctuaire. Jadis, il y avait une certaine réticence.
En effet, les tambours comme tous les autres instruments sont souvent personnifiés. En dehors de la musique qu'ils émettent, ils ont une personnalité. Bonne ou mauvaise ? A la simple audition d'un certain tambour, tel danseur peut entrer en transe, possédé par l'esprit du tambour.
On comprend les hésitations du clergé européen ou africain. Cependant, des Bénédictins au Sénégal ont adopté
Dans les milieux puritains, on insiste assez souvent sur le caractère sexuel de danses et on explique ainsi la réprobation qui pèse sur ceux qui s'y livrent. Le "Gerewol" des Foultés Bororos est un exemple de danse de séduction. Parés de bijoux, fardés, les lèvres peintes à l'indigo, les jeunes gens dansent lentement, en ligne, pour se faire admirer des filles. Ils ont bu avant la cérémonie un mélange de miel rouge, de lait, frotté des fibres rouges et du gypse pilé pour donner de l'éclat à leur teint.
En fait, un certain nombre de peintres se sont intéressés aux masques mais ils ont représenté un objet inanimé et jamais le masque dans ses danses. Tout se passe comme si, connaissant le goût des artistes puis du public occidental pour l'Art africain, ils valorisaient cette part de leur héritage, négligeant le masque en mouvement, ses fonctions et la danse en général.
Les films documentaires sur les danses où les masques ne sont pas rares. Il serait important de savoir si ces films et ces succès, surtout en Occident, ont eu des effets sur les danseurs. A travers les œuvres de Rouch qui a filmé plusieurs années de suite les danseurs dogons, on doit pouvoir se faire une idée des répercussions du tournage sur la vie des danseurs.
Dans le film "Sigui 1974" en particulier, reconstitution de la cérémonie de 1972, les acteurs ont-ils perdu leur sincérité ? Les Dogons et leur culture ont gagné beaucoup de prestige auprès des intellectuels africains, des peintres en particulier (S. Keïta utilise, le signe du dogon).
Sur le plan local, leur dynamisme ne semble pas entamé. Il doit être possible de passer de la glorification des ancêtres à la glorification de la culture noire.
Peut-être l'attitude des Africains vis à vis de leur danse est-elle ambiguë parce que cet art est chargé de surnaturel ? Mais ces références aux esprits de l'au-delà sont probablement nécessaires pour galvaniser les énergies. Il y a eu des groupes chorégraphiques qui ont eu du succès en Europe. Il serait indispensable, pour notre propos, d'en établir la liste et de chercher les causes de leur réussite ou de leur échec.
INTERVENTION DE MONSIEUR AYAMINE ANGUILET,
PRESIDENT DE SEANCE, A L'ISSUE DE
"... Je voulais dire également que la danse De Gaulle n'a pas pour objectif de folkloriser. J'entends par là que l'autorité politique dans notre pays, est une autorité essentiellement précaire et que cette précarité se traduit ici par le jeu: on joue le jeu de l'autorité.
Dans Eko De Gaulle, on banalise Sa réputation et Son autorité en les tournant en quelque sorte en dérision. Il y a tous les symboles du pouvoir. Et la canne dont vous parliez n'a pas de signification, elle évoque le BIERI (relique des ancêtres) mais ici, c'est un Bieri qu'on a dépouillé de son caractère sacré.
C'est pour échapper au poids, à la contrainte du sacré dans le quotidien; c'est ainsi que je vous disais qu'il n'y a pas de différence, de césure dans nos sociétés : l'homme est humain et surnaturel à la fois.
Même quand il s'agit d'un Chef traditionnel, à un moment donné, il est tourné en ridicule, en dérision, pour banaliser son autorité, pour qu'il prenne conscience qu'il est au service de la société, et non l'inverse. C'est ce qu'évoque Eko De Gaulle.
La présence du douanier correspond au fait qu'à l'époque coloniale, l'autorité la plus prépondérante était le Douanier. Les paquebots et les cargos amenaient aux ports toutes les richesses, lesquelles étaient sous contrôle des douaniers.
Le douanier a un uniforme, les anciens combattants comme on les appellent ici les tirailleurs avaient un uniforme, le milicien c'est-à-dire le policier avait un uniforme;
C'est ce qui s'opère dans
Les enfants imitent et ne sont pas punis pour cela. Mais lorsqu'on organise la danse avec son aspect sacré dominant, si l'enfant ou le non initié arrive, alors tout de suite, il y a sanction..."