11. Colloque International Thème 2 : Communication de Mr Ayaminé ANGUILLET (Gabon) Chercheur, Professeur à L'Université Omar BONGO
THEME 2 SUITE
"DANSE, THEATRE OU MUSIQUE: LES ARTS ASSOCIES"
COMMUNICATION DE MONSIEUR Ayaminé ANGUILLET (GABON)
CHERCHEUR, PROFESSEUR A L'UNIVERSITE OMAR BONGO LIBREVILLE
"... Je voudrais vous parler de la danse, non pas en tant que spécialiste de
J'ai intitulé ma communication "
Pourquoi situer le point de départ par la parole: nous savons que toutes les civilisations africaines, les cultures africaines, et leur mode d'être sont essentiellement oral ; d'où le thème du Colloque.
La réflexion que j'ai menée autour de la parole m'a amené à une conclusion que d'autres ont tiré certainement avant moi: quand on parle de tradition orale, on parle de1a parole, mais d'une parole codifiée.
Ainsi, la tradition orale se présenterait comme une structure fondamentale de la parole, et cette tradition orale va être aussi diversifiée que l'expérience qu'elle rend.
En effet, les sociétés que j'appelle "civilisations de la parole" ont une expression juridique, religieuse, etc.. qui s'exprime par la parole. Cette parole va prendre diverses formes, soit la forme de contes, de fables, de devinettes, d'épopées, de chants, de musiques, de rites mais également de danses.
Dans le cas d'espèce, la danse se révèle être une forme particulière, une structure particulière de la parole, qui codifie la parole ; elle se trouve donc en même temps parole et geste, le geste étant dans nos sociétés également une parole.
Dans cette structure la danse est diversifiée, et sans être trop rigoureux, on peut en dresser une typologie : Au Gabon, pour ne prendre que cet exemple, dans toutes les ethnies, on danse pour des activités économiques, on danse pour l'amour et aussi pour la mort.
Il ya des danses que l'on appellera profanes, profanes dans le sens où le sacré a déjà perdu de sa force; effectivement lorsque le sacré devient obsolète, on tombe dans le profane.
D'autre part, celles qui nous intéressent ici et que j'appellerai les danses sacrées, sont essentiellement de deux ordres, permettant le contact entre l'homme et le cosmos.
Dans ces danses, on distingue les danses thérapeutiques et les danses d'initiation, les deux renvoyant toujours à un rapport cosmo-humain.
Au niveau de cette danse, de cette danse sacrée, interviennent la tenue et le corps. La préparation du danseur, c'est ce qu'il va porter ou bien ce qu'il ne va pas porter, car il faut se rappeler qu'en Afrique, le manque de tenue est déjà une tenue de danse, dans des situations particulières.
L'autre aspect de la tenue est que, de façon générale dans les danses classiques, car je considère les danses traditionnelles comme les danses classiques africaines, le corps est vêtu de vêtements qui sont faits de fibres de peaux, de plumes, avec les maquillages composés de fards, huiles, onguents, poudres...
Tout cela constitue un costume qui a une signification par rapport au spectacle présenté car, une jeune femme aux seins nus badigeonnés d'huile de palme rouge dans une atmosphère clair-obscur, avec des reflets de torches de résine d'Okoumé par, exemple, offre un spectacle autrement féerique que celui donné par des projecteurs.
Rappelons nous donc que les éléments qui servent aux tenues ne sont pas des éléments gratuits, car dans les danses initiatiques et thérapeutiques, c'est la rencontre entre l'au-delà et ici bas qui est visée, bien que ces deux aspects ne soient pas antinomiques, et comme je vous le disais ce matin, nous passons du profane au sacré sans transition par les éléments constitutifs de la personne humaine.
La tenue nous amène directement à parler du corps, et je dirais que de tous les Arts, le corps est le premier espace et la matière première fondamentale.
En effet, le premier espace dans lequel évolue le danseur est son propre corps; le corps est un espace qui est organisé avant la danse par: l'abstinence sexuelle, une diététique appropriée, les ablutions, les maquillages ... tout élément qui vise à soulager des lourdeurs ontologiques le corps humain, pour réveiller le spirituel, les éléments subtils.
Tous les accessoires végétaux, animaux ou même minéraux tels les plumes, les peaux, etc… vont avoir des positions spécifiques qui déterminent une hiérarchie dans le parangon spécifique des initiés: c'est ce qui nous a amené à parler du corps en terme d'espace.
Cet espace corps va évoluer dans un espace géographique qui, concernant ici la danse, aura un contenu anthropologique.
Le contenu anthropologique de l'espace concerne l'aire de la danse dans lequel on ne rentre, ni ne se place n'importe comment; l'aire de danse est occupée dans un ordre bien déterminé: les musiciens ont leurs places, les initiés, les non initiés, le public ... ont les leurs.
Je résumerai cet espace en disant que, tout espace organisé en Afrique et singulièrement au Gabon, est à l'image du corps. Toute démarche se référant à des connaissances en vise de nouvelles et toute démarche initiatique est un parcours sur soi-même...
Et maintenant, pour revenir sommairement sur le thème de mon prédécesseur, qui est l'introduction des marionnettes et du masque dans la danse, je citerai ce dicton qui dit qu'en Afrique le danseur qui porte un masque n'est pas un homme, parce que le masque tue en même temps qu'il donne la vie.
Donc pour que vous soyez en mesure de porter un masque, il faudrait que vous participiez aux principes fondamentaux qui en régissent le mode de connaissance; car le masque est un produit de la connaissance en même temps qu'il en constitue une structure: c'est un peu comme un objet magique dans les contes.
A ce niveau, le masque est porté non pas par un homme mais par un esprit. Il ne faut pas le voir ici en tant qu'élément matériel, mais comme une charge énergétique qui abolit l'homme. Celui qui porte le masque n'est plus un homme; il a intégré et intériorisé les éléments fondamentaux qui font du masque un objet magique, un objet de puissance.
Nous avons aussi l'exemple de la danse Mekôm déjà présentée ici par le Professeur NANG EYI et qui évolue aussi bien dans l'espace et dans le temps.
Cette danse est hiérarchisée en cinq étapes fondamentales qui montent en échelle de valeur, et dont la plus grande, c'est-à-dire Akôm, renvoie à un univers initiatique, ésotérique.
En conclusion, je vous parlerai d'Ivanga, une danse de femmes chez les Omiénés et qui permet à la femme de s'affirmer, justement de se libérer.
Elle pourrait même être définie comme une Constitution, au sens politique du terme, qui est un idéal de société. En tant qu'idéal de société, c'est donc quand tout est conforme à l'Ivanga que tout va bien.
Or l'Ivanga produit dans une société matrilinéaire renvoie à toutes les configurations d'autorité et de pouvoir au sein d'un régime matriarcal; mais, n'ayant pas fondamentalement un pouvoir centralisé.
Je fais appel à l'Ivanga pour montrer la multiplicité de la danse, qui ne peut pas être définie comme on le ferait d'un dénominateur commun; en effet, dans la danse, il y a des moments où l'aspect musique prédomine, puis, c'est le chant qui prédomine, le geste...
Donc, pour nous, la danse est un Art pluriel, et dans le sens de l'Ivanga, elle nous démontre que le droit procède des hommes mais également des Génies. Il y a donc deux aspects fondamentaux de droit dans les sociétés africaines, qui sont ici mimées.
L'lvanga met en scène des préoccupations d'ordre juridique mais encore montre la matérialisation d'un mythe qui a été révélé par le rêve à un Chef, qui l'a formalisé dans Ivanga. Ici le mythe d'origine est joué sur scène.
C'est pour cette raison que nous ne pensons pas devoir considérer la danse comme un élément unidimensionnel, tout y est codé. Si un animal y est représenté, c'est que l'homme a capté ses principes actifs, ses sens dynamiques, connaît les lois de fonctionnement qui le régissent, et cela nous renvoie non pas seulement à la cosmogonie, mais également à la cosmologie dans la mesure où est posé le problème de l'interaction des relations de cause à effet et d'analogie de l'homme quand il rentre en contact avec la nature.
Il le fait de deux manières : ce que j'appelle le rapport endocentrique et le rapport excentrique, ou le rapport homogène et le rapport hétérogène.
Dans ce sens, l'Ivanga se dansait après les guerres ou après chaque catastrophe naturelle telles que les épidémies ou les inondations . . . pour purifier, pour tout oublier.
Elle consiste donc à réparer le désordre, reconstituer ce qui a été bouleversé par le chaos, et réaménager l'univers; Univers qui nous renvoie nécessairement à un rapport où l'énergie est au centre et où la préoccupation essentielle de l'homme est sa quête perpétuelle de la connaissance.