ATELIER CHOREGRAPHIQUE DU THEÂTRE NATIONAL

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10. Colloque International Thème 2 : COMMUNICATION DE MADAME Françoise GRUND (FRANCE) DIRECTRICE ARTISTIQUE DES MAISONS DES CUL TURES DU MONDE - PARIS

THEME 2 SUITE

 

DANSE, THEATRE OU MUSIQUE, LES ARTS ASSOCIES

 

COMMUNICATION DE MADAME Françoise GRUND (FRANCE) DIRECTRICE ARTISTIQUE DES MAISONS DES CUL TURES DU MONDE - PARIS

 

Mesdames et Messieurs; ma communication porte le titre de "Ethnoscénologie, une discipline nouvelle pour aborder les problèmes du rituel et de ses évolutions possibles".

Il s'agit d'un mot nouveau recouvrant une discipline nouvelle et dont le but consiste à aborder les différentes formes de l'expression humaine, avec un regard nouveau lui aussi.

En effet, la Maison des Cultures du monde à Paris et son directeur Chérif KHAZNADAR, l'Université de Paris VIII et le directeur du laboratoire de Recherche Interdisciplinaire des Pratiques Spectaculaires Jean-Marie PRADIER, viennent de joindre leurs forces pour créer un nouveau champ d'action. le Centre International d'Ethnoscénologie

L'Ethnoscénologie, c'est la création d'une discipline proposée au monde entier par une entreprise culturelle orientée vers la recherche et la diffusion d'expressions de tous les peuples (par des spectacles, des concerts, des ateliers, des expositions, une revue trimestrielle, Internationale de l'Imaginaire et une collection de disques: INEDIT), ainsi qu'un laboratoire spécialisé dans l'étude des pratiques spectaculaires humaines : (la musique, la danse, le théâtre, les jeux masqués, les marionnettes, les ombres, les rituels, les repas cérémoniels, les maquillages rituels, les traçages de graphismes codés etc.:..).

Les buts de cette discipline nouvelle (qui englobe l'anthropologie du théâtre, l'ethnologie, la musicologie, la sociologie) sont divers.

Premièrement, c'est proposer un autre regard pour apprécier l'immense diversité de l'expression humaine, menacée, aujourd'hui, par le danger de massification.

Les mots ambigus d"'universalité'" et de "métissage" font aujourd'hui reculer l'objectivité du comportement des observateurs, car, il est cer1ain que l'universalité des cultures se fera au détriment des plus faibles, les nouvelles technologies privilégiant nécessairement les cultures les plus fortes. Or, l'Ethnoscénologie va vers la défense de la plus grande diversité. Elle propose la vision et l'étude des formes sans aucun souci d'échelle de valeur ou de hiérarchie et sans aucune exclusion. Jean MALAURIE disait: "II faut défendre les formes spectaculaires qui ne sont pas rapportées dans les textes".

Deuxièmement, deuxième but de l'Ethnoscénologie : forger un concept, une notion, une méthode et rassembler ce qui est éparpillé. Faire de l'exploration et publier sans relâche inventaires et résultats de recherches. Inciter les étudiants à présenter des thèses de doctorat en Ethnoscénologie - Université de Paris VIII -. Enfin, constituer un réseau international de chercheurs, et je suis contente d'être ici pour vous faire cette proposition très concrète.

Troisième but: revendiquer le néologisme d'Ethnoscénologie en français comme dans toutes les langues ( c'est un problème d'invention d'un terme sur lequel il faut désormais se pencher avec sérieux) parce que les limites de notre monde sont aussi les limites de notre langue.

C'est pourquoi, bientôt, des formes de spectacles - et pour ne citer que quelques exemples concernant seulement l'Afrique - aussi différentes que: le Tchiloli et le Danço Kongo de Sao Tomé, l'Autoda Floripes de Principe, le Bwiti au Gabon, le Bobongo des femmes ekonda, la Danse Nioko ou du serpent chez les Balouba du Kasaï, au Zaïre, la Cérémonie du Tipoye des Bakongo au Congo, la Danse des fous au pays de Man, la Danse du couteau des fillettes de Zouan Hounien, la Danse des percussionnistes des Baoulé en Côte d'Ivoire...( et nous en avons tellement d'autres aussi intéressantes )... toutes ces formes de spectacles pourraient être systématiquement explorés par une équipe de chercheurs locaux et étrangers qui en établiront un relevé ainsi qu'une analyse structurelle.

Il est important que dans chaque pays désormais, et les hommes de terrain ; musiciens, danseurs, féticheurs, facteurs de masques, facteurs de marionnettes, etc. . . et les universitaires, et les représentants des pouvoirs publics, dans chaque région, dans chaque village, puissent établir une fructueuse collaboration.

Il va sans dire que ce travail commun ne saurait s'accomplir dans le but d'une rentabilité immédiate (comme l'organisation d'une fête locale à grand retentissement, ou la perspective d'une invitation dans un théâtre ou dans une institution à l'extérieur du pays...). cet objectif à court terme ne ferait que nuire à la forme en question et à la nouvelle notion d'Ethnoscénologie.

Au contraire, tous ensemble et dans chaque secteur, ils devraient s'exhorter à se poser mutuellement un certain nombre de questions. Il est bien certain que chaque situation, chaque forme de rituel ou de danse cérémonielle en Afrique, soulève un problème particulier

Néanmoins, étant donné la frénésie de nivelage culturel dans laquelle se sont jetés les Occidentaux et, à leur suite, certains Africains; tout ceci conduit à une fragilisation des expressions.

Le rituel X ou la danse Y, actuellement, dans mon village, qui comporte l'électricité, l'eau courante, un médecin et une école, conserve-t-il (elle) ses fonctions ?

Les fonctions et l'efficacité du rituel X ou de la danse y sont de quel type ? Spirituel, mystique, social, thérapeutique ?
Quelle catégorie de population, dans le village, se sent concernée par une des fonctions du rituel X ou de la danse y ? Les vieillards, les hommes, les femmes, les actifs, les adolescents, les enfants, les malades, les exclus ?

Au cours des vingt dernières années, le village a-t-il subi des modifications, voire des bouleversements sociaux ou autres: guerres, invasion, exode, épidémie, nouvelle politique, changement des lois de l'héritage (par exemple, passage des donations matrilinéaires au cadre patrilinéaire), arrivée de missionnaires extérieurs de toutes sortes, évangélisation ou entreprise de prosélytisme brutale ou insidieuse, renoncement forcé ou brusque à des valeurs ancestrales, établissement d'une taxe ou d'un impôt, établissement de nouvelles fêtes nationales, nouvelle politique familiale, remise en question de la médecine traditionnelle, remise en question de l'existence des ritualistes etc...).

Ces modifications récentes ont-elles entraîné une modification du rituel X ou de la danse Y: changements des dates d'exécution, "édulcoration" de certains gestes sous l'impulsion de nouveaux moralistes, privation de certains accessoires, suppression des chefs ritualistes ou des maîtres de danse, possesseurs, en général de "pouvoirs" ésotériques, utilisation de la danse ou de certaines parties du rituel dites "spectaculaires" pour l'insertion dans un groupe folklorique national, dénaturation du rituel ou de la danse transformé( e ) en une présentation folklorique, suppression pure et simple du rituel ou de la danse.

Dans le cas où les maîtres ont disparu, ou sont sur le point de disparaître (grande vieillesse, manque de mobilité, maladie, invalidité), la communauté ou la microsociété, prévoit-elle de faire venir d'autres maîtres de régions voisines ?

Dans le cas où la communauté a été approchée par des gens de l'extérieur (missionnaires, coopérants, techniciens, experts en mission, peuple voisin réfugié ou de passage...), le rituel X ou la danse y ont-ils été "contaminés" ? La "contamination" a-t-elle revêtu un aspect positif ou négatif ?

Cette question reste la plus délicate de toute l'Ethnoscénologie. En effet, pour pouvoir trancher et décider que tel effet est bénéfique et tel autre mutilant, il faut plusieurs facteurs.

D'abord, du temps, ensuite une évaluation renouvelée de l'efficacité du rituel ou de la danse sur plusieurs catégories de la population, de la microsociété, un regard extérieur, une possibilité de comparaison avec les formes similaires anciennes et les formes parfois approchantes des peuples voisins, une objectivité artistique et scientifique de l'observateur, qu'il appartienne au milieu endogène ou vienne du dehors.

Et c'est souvent là qu'intervient 1"'animateur" -nom préférable à celui de créateur de génie- ou le petit groupe perspicace de paysans, de chasseurs ou d'ouvriers des mines comme à Soweto en Afrique du Sud, initiateurs de la Boots dance.

Il est vrai que le processus d'élaboration du rituel X ou de la danse y qui s'est fait dans le passé et qui continue à se forger dans le présent grâce à l'accumulation et à la fusion de multiples petits éléments provenant d'individus ayant eu un jour une idée qui a été adoptée par le groupe. Les formes n'ont cessé de se modifier. Les peuples d'Afrique se sont toujours beaucoup déplacés dans l'histoire et au cours des dominations diverses, il s'est trouvé qu'une symbiose s'est établie entre la culture du dominé et la culture du dominant, pour un moment.

En revanche, il faut craindre les systématismes occasionnels du monde contemporain et surtout du milieu urbain. Le microcosme urbain plie sous le joug du commercial et de la rentabilité. Et les arrangeurs du traditionnel "rénové" vont vite en besogne pour mettre en place, dans des délais records, une forme de musique-dance "présentable" sur les scènes internationales, en pillant la plupart du temps les ritualistes et artistes de leur pays et en accommodant le larcin à la sauce des technologies nouvelles.

C'est l'essaimage de ce terme de "métissage" qui en est la cause là plupart du temps. Presque toujours, cet esprit de métissage contribue à appauvrir la forme traditionnelle comme la forme extérieure contemporaine.

C'est là où l'Ethnoscénologie va constituer un appui de taille. Pour tous les peuples de l'Afrique, ce qui est important aujourd'hui, c'est de ne pas se faire déposséder. Pour cela, il suffira, grâce à l'Ethnoscénologie, qui diffusera des revues et formera des professeurs dans toutes les universités du monde ( c'est un voeu pieux) qui favorisera l'échange des maîtres, de jeter un regard vers l'extérieur, et pas dans une seule direction, dans toutes les directions.

Toutes les cultures sont en danger, et il faut faire de la lutte pour leur sauvegarde un argument toujours présent. Il s'agit moins d'argent que de prise de conscience, à la fois du danseur de village, comme du responsable politique.

L'Afrique, pour les peuples du monde fascine par la force et la beauté de ses expressions dansées, musicales et rituelles. Ces formes, si elles sont peu connues de l'extérieur, constituent un trésor caché qui sera révélé, valorisé, reconnu et donc vivifié grâce à l'étude systématique et comparative que propose l'Ethnoscénologie ; et c'est avant tout aux Africains de veiller sur leur trésor.



31/03/2012
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